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Les financements publics des filières biosourcées

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Quand je regarde les appels à projets ou consulte les sources de financement mises en avant pour soutenir les pratiques biosourcées et la structuration des filières, je m’étonne de ne jamais voir l’homme mentionné.

Comment peut-on projeter un avenir économique, social et environnemental qui puisse tenir la route sans jamais prendre en compte dans la réflexion l’homme au travail et au monde?

Quelle est cette vision de l’avenir où l’homme n’est plus perçu en amont que comme un accessoire, un outil économique comme un autre au service d’un mode optimisé de production et en aval comme un centre de profit, consommateur final de biens industriels ou de services?

Pourquoi cette tendance exclusive des aides publiques à ne soutenir les biosourcés qu’au travers des perspectives industrielles de ce qu’ils appellent la bioéconomie numérique?

La connaissance, l’expertise de la matière biosourcée se trouve t’elle dans la boîte noire de l’ingénierie logicielle connectée et dans le process industriel normé de mise en œuvre ou dans l’empirisme et la transmission du savoir-faire artisanal?

Quelle société voulons-nous pour demain?  

Ce n’est en fait qu’à l’approche des premières échéances et contraintes liées à la RE 2020 (ou la mort annoncée du jackpot béton) que les acteurs de la profession se sont attelés à réinterroger leurs pratiques industrielles polluantes.

Les vendéens d’Hoffmann green ont été les premiers, dès 2015, à travailler en R&D à base de boues d’argile à la conception d’un béton sans clinker cinq fois moins carboné car issu de prise chimique à froid.

Ils sont précursseurs et ont poussé les conventionnels à les suivre (Bouygues, Eiffage…).

Malheureusement ce ciment, fut-il moins carboné, n’en reste pas moins un matériau de construction très impactant pour l’environnement (en sable et en eau notamment) et absolument pas recyclable tel que le stipule le label C2C (Cradle to cradle) propre aux engagements biosourcés.

Au moins ne sèment-ils pas la confusion biosourcée avec leur ciment décarboné. Ils annoncent juste qu’ils sont cinq fois moins impactants qu’avant et poussent les autres, les majors, à évoluer et ça c’est déjà très bien.

Est-ce qu’on participe de l’industrialisation numérique de l’ensemble du processus ou on défend avant tout les épanouissantes dimensions sociales et solidaires propres à la matière artisanale biosourcée?

Alors on peut se faire plaisir à multiplier les analyses en laboratoire et les tests de toutes sortes pour caractériser et normer des torchis ou des bétons plus ou moins fibrés, dénaturer une terre pour la faire passer en machine (construction maquette 3D) ou pour la couler dans des banches.

On peut faire tourner plein de logiciels pour obtenir de jolis tableaux et de belles courbes, on est tellement fort en technologies de pointe,  mais l’essentiel des valeurs ajoutées que portent les biosourcés et ses acteurs historiques ne se trouve pas là.

Ma longue expérience des biosourcés mis en oeuvre artisanalement en marchés privés et publics ces vingt dernières années me permet de porter un regard expert associé au faire sur chantier où l’humain retrouve toute sa place en redonnant du sens à ce qu’il fait de son temps et de ses dix doigts.

Ces potentiels de renouveau et d’épanouissement humain ne doivent pas être tus au motif qu’ils ne sont pas mentionnés dans les appels à projet ou identifiés dans ces soutiens financiers à visées exclusivement industrielles et numériques.

Je pense que le rôle des acteurs des réseaux biosourcés que nous sommes (RFCP, CPA, CTA…) est de porter à la connaissance de nos interlocuteurs ces valeurs d’humanité à même de fonder une société plus juste, plus respectueuse de l’homme et de l’environnement et donc plus responsable. 

Ce que je dénonce ce sont les cases d’un système normé dans lesquelles on veut nous forcer à rentrer alors qu’à mon sens, les guides de bonnes pratiques (terre) ou les règles pro (paille, chanvre) existants déjà, ce sont plutôt les dimensions sociales, humaines, participatives, collaboratives et low-tech que nous devrions massivement chercher à soutenir.

La complexité n’est pas dans la matière elle-même mais dans la dimension sociale et environnementale qui va avec.

Les matières bio et géosourcées sont le support idéal à une expérimentation sociale et solidaire pour repenser le rapport de l’homme au travail et par voie de conséquence au monde.

Une même réflexion et des constats similaires peuvent être dréssés dans le domaine de l’agriculture quand on oppose le maraîchage bio associé à la multiplication de petites exploitations et au renouveau des métiers paysans…

 à l’agriculture écologiquement intensive (sur des centaines d’hectares) boostée à coups d’intrants de toutes sortes et branchée sur sattelite…

Déléguer à l’ingénierie et à la technologie la caractérisation des matériaux et des process, à la machine idéalement automate la mise en œuvre avec la perspective de l’intelligence artificielle via le numérique pour gérer tout ça de façon optimale est manifestement pour beaucoup une perspective crédible et pour les pouvoirs publics la panacée.

Mais encore une fois, il est où l’humain là-dedans?

Et qui pour parler de l’humain là-dedans si ce n’est nous en saisissant l’occasion des AAP sur les biosourcés pour porter une autre vision de l’avenir du bâtiment?

Envie d’échanger sur ce sujet avec Jean-Michel ?