paille hachée

La paille hachée : un nouveau souffle pour la construction écologique

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

La construction écologique a le vent en poupe et l’intérêt pour les matériaux biosourcés va croissant. Dans ce contexte favorable, on observe une augmentation de l’utilisation de ces matériaux pour rivaliser avec les produits conventionnels disponibles sur le marché, qui sont pour la plupart fortement polluant.

Parmi ces matériaux biosourcés, la paille est de plus en plus reconnue à juste titre. Ses nombreux avantages lui confèrent une place de choix sur la scène des nouveaux isolants écologiques : disponible abondamment et localement, très bonne inertie pour le confort d’été, stockage de CO2, … Pourtant, tous ces atouts ne suffisent pas à devancer certains isolants pétrochimiques ou minéraux qui restent majoritaires sur le marché.

Et s’il fallait révolutionner la mise en œuvre de ce matériau pour augmenter son utilisation ? Qui a dit que tradition, innovation et écologie n’étaient pas compatibles ? C’est le pari relevé avec la technique de la paille hachée insufflée, une solution qui apporte un nouveau souffle dans le monde de la construction écologique.

Une innovation de taille pour l’application de la paille en construction

L’émergence d’une nouvelle technique

Le principal inconvénient de l’isolation en botte de paille reste sa mise en œuvre assez complexe. Tout d’abord, la rigidité de la botte nécessite une précision de mise en œuvre et d’en retravailler certaines pour s’adapter à l’ossature en bois. Ce n’est pas toujours accessible aux constructeurs néophytes et ce n’est pas toujours compatible avec de gros chantiers qui doivent être réalisés dans des délais serrés. De plus, les bottes utilisées en construction pèsent environ 16 kg et demandent beaucoup d’effort pour une journée de travail.

Jusqu’à présent, la principale alternative était la préfabrication. C’est-à-dire que les panneaux à ossature bois étaient remplis de paille en atelier puis acheminés directement sur le chantier. Mais une solution pour pallier cet inconfort a été récemment développée : la technique de la paille hachée insufflée directement dans le mur. Bien que méconnue chez nous, cette technique a déjà été développée en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas. La SCIC Ielo fondée en 2021, dirigée par Nicolas Rabuel, est pionnière sur le marché français. L’entreprise acte pour un changement d’échelle et une facilitation de la mise en œuvre de cette technique : implication des agriculteurs au sein de l’entreprise, formation des artisans, avancées législatives pour être reconnu comme technique courante de construction prévue pour la fin de l’année, … Vous trouverez leur site ici : https://ielo.coop

Déroulement de la transformation et de la mise en œuvre

Tout d’abord, les agriculteurs doivent respecter un cahier des charges précis mettant en avant une agriculture respectueuse de l’environnement. Les ballots de paille de blé sont pressés et acheminés au lieu de transformation, puis ils sont dépoussiérés puis broyés sur une longueur d’environ 2,5 cm. La paille hachée est ensuite transportée en sac avec un objectif de circuit court, le site d’utilisation devra être situé à moins de 150 km des chantiers potentiels.

Pour être insufflée, la paille passe par une machine à pneumatique qui permet de tasser la matière de manière similaire à la ouate de cellulose (papier recyclé). Mais contrairement à cette dernière, la pression requise est de 110 kg/m3 dans des caissons, soit une densité 2 fois supérieure. La paille hachée étant plus lourde, elle est donc plus efficace, ce qui apporte de meilleures performances d’isolation en hiver et en été. Le matériau est directement soufflé à l’intérieur du caisson, ce qui permet une utilisation facilitée partout dans le bâtiment : murs, combles, toitures et planchers bas et intermédiaires.

Cette vidéo illustre l’utilisation d’une machine à insuffler :

En ce qui concerne le cadre légal de la mise en œuvre de la paille hachée insufflée, il n’existe pas encore d’avis technique. Cela s’explique par l’arrivée récente de cette pratique en France, la SCIC Ielo n’existant que depuis 2021. Cependant, la réalisation d’une ATEx de cas A pour une utilisation dans les murs et les rampants est en cours de réalisation. Cette technique, bien qu’élaborée récemment a déjà été mise en œuvre concrètement sur quelques chantiers diversifiés, dont le restaurant universitaire du CROUS de Poitiers, projet que nous verrons plus en détail plus tard dans cet article. Autre aspect réglementaire : un certificat de mise en œuvre suite à une formation organisée par Ielo est imposé pour pouvoir réaliser des chantiers avec cette technique.

Les raisons de privilégier la paille hachée

Une technique tout terrain…

Comme présenté précédemment, l’avantage principal de la paille hachée réside dans sa manipulation facilitée. L’amélioration du confort de travail est considérable, bien qu’il soit recommandé de laisser la mise en œuvre à une entreprise expérimentée. Au-delà de cet aspect, cette technique d’isolation possède de nombreux autres avantages. Ce matériau est adapté à la fois pour une mise en œuvre sur chantier ou en atelier pour de la préfabrication. De plus, nous avons vu qu’il pouvait être utilisé dans toute sorte de parois, mais ce n’est pas tout.

Plus spécifiquement, la paille hachée est un matériau particulièrement adapté pour le bâti ancien (avant 1948). L’insufflation créée un matériau homogène qui prend toutes les formes possibles : son format « vrac » lui permet de s’adapter aux surfaces non planes des vieux murs. C’est un des rares matériaux pouvant atteindre le standard passif pour des constructions anciennes. De plus, les caractéristiques de la paille lui confèrent une bonne gestion de l’humidité : on observe une réaction de « perspirance », c’est-à-dire que l’humidité traverse la paroi. Au contraire, certains matériaux comme les enduits à base de ciment viennent créer une barrière et l’humidité reste coincée à l’intérieur du mur faisant apparaître des pathologies.

… et pleins d’autres qualités !

On observe une performance similaire de la paille à certains isolants pétrochimiques ou minéraux (laine de verre, laine de roche, …). Même si son lambda est légèrement plus faible, qu’elle soit hachée ou non, la paille possède un atout considérable : elle favorise fortement un bon confort d’été. Bien que légèrement plus cher que certains isolants conventionnels, le rapport performance / prix est très intéressant. D’un point de vue écologique, utiliser un matériau haché contribue à réduire considérablement la quantité de déchets. Il n’y a plus de soucis de bottes pas assez ou trop dense et la totalité de la matière peu être valorisée.

La paille insufflée permet aussi de dépasser la réalisation « artisanale » des matériaux biosourcés vers une certaine industrialisation. Celle-ci permet d’adapter ces matériaux à des projets plus ambitieux et contraignants que la maison individuelle grâce à une rapidité et une précision d’exécution. Elle permet aussi une garantie de qualité, car les matériaux sont préservés et de meilleures conditions de travail pour ceux qui la mette en œuvre.

Les réalisations en paille hachée

Le restaurant universitaire de Champlain Poitiers

Encore en cours de chantier et prochainement livré, le restaurant universitaire Champlain bénéficie actuellement d’une rénovation écologique digne de ce nom. Ses nouvelles façades, élégantes et contemporaines par leurs bardages en bois et en métal, ne laissent pas deviner les matériaux qui les composent.

En plus d’un réaménagement intérieur, le bâtiment a vu son enveloppe être améliorée thermiquement grâce à la mise en place d’une ITE (isolation thermique par l’extérieur) à base de paille hachée insufflée. Cette technique permettra de réduire de 40 % les dépenses énergétiques du bâtiment. Au total, il aura fallu insuffler pas moins de 600 m³ pour remplir l’ensemble des caissons bois. Le coût du projet représente 2 850 000 € pour un bâtiment d’une surface d’environ 3000 m². Celui-ci a été porté par le CROUS de Poitiers, a permis la réalisation de l’ATEx citée précédemment.

L’Université de Poitiers mène depuis 10 ans une stratégie globale de sobriété énergétique. Cela passe par la réhabilitation du restaurant universitaire, mais aussi par exemple par la mise en place d’un système de chaufferie biomasse collective qui relie les différentes résidences du CROUS. L’ensemble des bâtiments visés par le projet devraient être réhabilités d’ici 2030 avec un objectif de moins de 50 kWh/m²/an et les constructions neuves seront des bâtiments passifs et à énergie positive (aussi appelés BEPOS).

Isolation paille hachée : Des projets prometteurs en cours de réalisation

Bien que cette technique soit récente, on observe une forte diversité dans les projets réalisés : le restaurant universitaire de Poitiers, mais aussi une maison individuelle et des bureaux partagés. Ce qui démontre son côté passe-partout. Certains projets sont répertoriés sur le site de la SCIC Ielo : https://ielo.coop/zoom-sur-nos-projets

A titre d’exemple, nous pouvons aussi citer la rénovation du nouveau siège de la CAPEB à Limoges. L’objectif fixé est d’atteindre une moyenne de 24 °C en été. La structure métallique, les parpaings et la toiture métallique d’un ancien centre commercial ont été préservés alors qu’ils constituent une véritable passoire thermique. C’est en ajoutant une couche d’isolant complémentaire en paille hachée que de telles performances seront atteintes.

Ce bâtiment se veut démonstrateur : le projet va au-delà d’une isolation écologique en intégrant divers principes du bioclimatisme. Par exemple, aucune climatisation n’est prévue. Cette technologie très énergivore et polluante est remplacée par une ventilation nocturne pour extraire le peu d’air chaud qui arrive à rentrer par les portes et les fenêtres. En effet, les parois atteignent une très bonne capacité d’isolation contre la chaleur, ce qui réduit drastiquement le besoin de ventiler pour rafraîchir le bâtiment.

Si vous souhaitez développer ce sujet, Ghara développe le concept de bioclimatisme dans un article ici :

ARGANTAËL BEUCHERIE

Architecte diplômée d’état et certifiée Pro Paille