Quel(s) potentiel(s) pour la terre crue ? (1/2)

Hugues Verneau Articles écoconstructions

Comment se fait-il que le béton continue de couler à flots bien qu’il soit responsable de 5 % des émissions de CO2 anthropiques mondiales?

Pourquoi l’étalement urbain s’accélère-t-il chez nous quand pourtant 3 millions de logements restent vacants ?

Comment pouvons nous continuer de revêtir nos murs ou intérieurs de bois exotiques lorsqu’on connaît l’ampleur et les conséquences de la déforestation ?

Nous nous voulons de plus en plus concernés par l’impact des activités humaines sur l’environnement.

Mais si nous sommes devenus attentifs à la manière dont nous nous déplaçons, à ce que nous mangeons, portons, achetons quotidiennement, nous le restons encore trop peu à ces espaces que nous construisons pour passer une grande partie de nos vies : nos habitats.

Certains matériaux, néanmoins très présents dans nos ressources, semblent ainsi oubliés.

C’est le cas de la terre qui figure pourtant parmi les techniques les plus ancestrales de la construction.

Découvrez dans cet article les nombreuses possibilités qu’offre cette matière… en attendant le prochain article où il sera question de se rendre sur un chantier participatif afin de découvrir la mise en œuvre de la terre sous forme d’enduit de façade.

Mais pourquoi construire en terre crue ?

Pourquoi les architectures de terre, aussi méconnues que remarquables soient elles, font-elles aussi peu partie de notre héritage culturel ?

Pourtant cette matière semble pouvoir répondre à de nombreux enjeux pour affronter nos plus grands défis contemporains.

Comment le bon usage de ce matériau pourrait-il contribuer à un changement de paradigme sociétal ? Pourquoi est-il porteur d’avenir ?

1 – Plaidoyer pour la terre crue 

Des atouts environnementaux

Dans l’objectif de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre en vue d’amoindrir les conséquences du réchauffement climatique, le GIEC suppose notamment un changement radical des choix de logiques de construction.

Dans ce contexte, la terre crue a un rôle stratégique à jouer. 

En effet, l’architecture en terre crue, dont les usages contemporains sont de plus en plus fréquents et diversifiés, est porteuse d’une modernité alternative qui répond aux exigences de la crise écologique.

D’origine naturelle, la terre provient de la dégradation de la roche et dans certains cas de déplacements d’origine fluviale ou éolienne.

En faire usage pour la construction ne fait pas concurrence à l’agriculture car ce sont les couches inférieures, essentiellement minérales, qui sont dans ce cas utilisées.

Ces différentes strates offrent une grande variété de couleurs, de granularités et de propriétés physiques.

Cette diversité et les caractéristiques socio-culturelles des différents peuples du globe ont par ailleurs permis le déploiement de différentes techniques comme l’adobe, la bauge, le torchis ou le pisé, qui possèdent chacune de nombreuses variantes.

La roue des techniques, 2009 ©CRAterre

De plus, l’extraction de la terre répond aux problématiques écologiques, elle est simple, même avec des outils rudimentaires.

Elle se fait sans processus chimique, sans déchet et avec peu d’énergie.

Ainsi, la terre est prête à l’emploi dès qu’elle est retirée du sol, avec éventuellement un ajout d’eau pour apporter de la plasticité pour sa mise en œuvre.

Sa substance peut aussi être améliorée par addition d’autres matières naturelles (paille, chaux, chanvre etc..) qui viennent augmenter ses caractéristiques mécaniques.

De plus, la consommation d’énergie dite « grise » de la construction terre est généralement très faible.

La transformation de la matière première en matériau de construction nécessite peu d’énergie et souvent un transport nul :

la terre est généralement extraite in situ sur la parcelle même du projet ou sur ses abords, garantissant une ressource territoriale proche.

Ainsi, la valorisation des déblais de chantier, en particulier lors de travaux de grande envergure en milieu urbain, offre la possibilité d’amoindrir largement le coût de  transport et de traitement des « déchets » en permettant la transformation des terres excavées en éco matériau.

Ferme traditionnelle en pisé dans les monts du lyonnais © Patrick Doat
Constructions en briques d’adobe, Isla del Sol en Bolivie © Orlane Huitric

Des qualités techniques

L’architecture traditionnelle nous démontre que la terre crue est un matériau mécaniquement résistant.

De nombreuses constructions en adobe sont présentes dans la Cordillère des Andes, comme dans le village de Yumani sur la Isla del Sol, en Bolivie.

Ces maisons et églises défient déjà le temps depuis quelques siècles.

De même, au cœur de Lyon, des immeubles en pisé de quatre à cinq étages sont habités depuis les années 1800.

Dans cette partie de l’Auvergne, et plus particulièrement dans les monts du lyonnais, territoire dans lequel je suis actuellement ancrée en tant qu’architecte, les fermes et domaines en pisé ponctuent le paysage, parfois habités, en cours de réhabilitation ou en attente de nouveaux usages.

Le matériau est compatible avec tous les climats, même pluvieux, quand la conception prévoit une bonne protection constructive avec, entre autres, « de bonnes bottes et un bon chapeau ».

D’autre part, la dimension recyclable de la terre n’est pas des moindres : le bâtiment peut en effet être recyclé à l’infini.

Puis, quand ce dernier arrive en fin de vie, les murs peuvent être démolis et la terre remélangée au sol du site ou réutilisée pour une nouvelle construction.

De plus, même si certaines techniques particulières demandent un savoir-faire professionnel, la terre se prête la plupart du temps très bien à la participation collective.

Accessible à tous et sans risque pour la peau ou les yeux, c’est donc un matériau idéal pour des chantiers participatifs ou des projets d’auto construction.

Autre qualité, elle est compatible avec tous les autres matériaux de construction, traditionnels comme contemporains.

Très appréciée aussi en réhabilitation, la terre permet de s’adapter aisément aux irrégularités de vieux murs.

Une matière saine et esthétique

Au delà de ces atouts environnementaux et techniques, la terre offre une esthétique minimaliste, totalement en adéquation avec le concept même de « frugalité créative »

[1]111. Il s’agit d’un matériau vivant qui se caractérise notamment par se texture et une grande variété de teintes naturelles, du gris foncé au jaune éclatant, en passant par de multiples nuances de rouge ou d’ocre. En plus d’une grande palette de couleurs, la terre dégage un aspect chaleureux et apporte un vrai plus « émotionnel » à l’espace.

Hormis cette dimension esthétique, les murs et enduits en terre crue garantissent également un climat intérieur sain.

Ils ne diffusent aucun produit toxique et absorbent les odeurs.

De plus, la structure granulaire de la matière et sa porosité contribuent à ses capacités d’hygrométrie : l’humidité en excès est absorbée puis restituée.

Par ailleurs, la densité des murs en terre permet par inertie thermique de réduire considérablement les échanges entre intérieur et extérieur.

Ainsi, la chaleur accumulée pendant la journée dans l’épaisseur des parois est diffusée pendant la nuit dans le bâtiment.

Compacts, les murs en terre font également obstacles aux nuisances sonores de l’extérieur et absorbent les bruits émis à l’intérieur.

Mur en pisé, projet lauréat du prix national des architectures en terre crue 2013, Boris Bouchet Architectes © Benoît Alazard

… avec tout de même des limites

Bien entendu, l’usage de la terre crue dans la construction a également ses propres limites.

C’est là où intervient la complémentarité avec d’autres matériaux.

Afin d’éviter que l’humidité ne remonte dans la matière, les murs en terre sont ainsi généralement posés sur un socle en béton ou en maçonnerie de pierre ou de brique.

Sur le plan structurel, au-delà de certaines hauteurs ou portées, ce sont par exemple le bois, le béton ou le métal qui prennent le relais.

D’autre part, la plupart des limitations d’usage de la terre crue sont dues à des normes et règlements trop stricts ou inappropriés.

Encore plus incohérent, c’est souvent par manque de connaissance du matériau que les exigences ne cessent de croître sur le sujet.

Il est d’autant plus important de concerter, sensibiliser les politiques, habitants ou acteurs concernés comme il devient nécessaire de former les professionnels à ce genre de pratiques :

  • les architectes,
  • les ingénieurs,
  • les artisans,
  • les entreprises,
  • les institutions officielles, etc..

Même si elles ne sont pour l’instant pas axées sur la terre crue mais plutôt sur des matériaux biosourcés comme la paille ou le bois, ce sont ce type de formations que propose Ghara, n’hésitez pas à les consulter !

Quand aux blocages psychologiques comme culturels, s’ils persistent dans les pays émergents, c’est aussi du à l’usage de certains matériaux dans la culture occidentale depuis le siècle dernier, durant lequel la brique cuite, le parpaing de ciment et le béton sont devenus symboles de progrès.

Pourtant, comme vous vous en doutez, ces technologies ont beaucoup plus d’impact sur la production de CO² et donc sur le réchauffement climatique…

2 – Démocratiser et envisager la terre comme une ressource omniprésente

La terre, une matière disponible (presque) partout !

Notre planète, dotée d’une croûte terrestre constituée de différentes strates, subit continuellement les intempéries (pluie, neige, vent, gel et dégel) qui font éclater les roches des massifs montagneux.

Les fragments de pierre dévalent ainsi les pentes par avalanches successives pour se retrouver dans les torrents, rivières et fleuves.

Au terme d’un long périple, cette matière minérale morcelée est largement dispersée et couvre une grande partie de la surface émergée du globe.

Cette matière en grains, que nous nommons la terre, composée de cailloux, graviers, sables, limons, et argiles est disponible presque partout.

Et en la mélangeant avec de l’eau, comme évoqué plus haut, on la transforme aisément en matériau de construction.

Ce sont d’ailleurs avec ces deux composants, la terre et l’eau, que l’homme a édifié, depuis les premières civilisations jusqu’à nos jours, sous tous les climats et sur tous les continents, ses habitations, ses agglomérations, ses territoires urbains comme ruraux.

L’exemple de la vallée du Nil en Egypte est particulièrement éloquent : depuis des millénaires, les limons du fleuve déposés le long de ses rives constituent la matière première essentielle de l’immense majorité de ses habitations, construites en briques d’adobe.

Carte des ressources en terre crue dans le monde ©CRAterre

Si la terre est présente sur nombre des territoires du globe, certains sols lui confèrent des propriétés spécifiques qui renforcent ainsi son potentiel constructif.

Les architectures de terre crue sont ainsi présentes sur tous les continents et dans la grande majorité des pays du monde.

Cependant, certains régions de notre planète sont identifiées comme spécialistes de la terre crue, qui n’est alors plus simplement une ressource disponible mais devient une pratique traditionnelle.

Sur la cartographie ci-dessus, les surfaces oranges représentent les territoires dans lesquels la terre s’inscrit comme logique constructive tandis que les points indiquent les principaux sites édifiés en terre crue classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ainsi, la terre crue pourrait potentiellement couvrir une partie significative des besoins en logements et équipements du globe, tant dans les pays émergents qu’industrialisés… un sujet qui mène à réflexion !

La brique d’Adobe : une technique ancestrale en Bolivie

La logique constructive en terre moulée, ainsi définie par CRAterre, mais plus généralement connue sous le nom d’adobe, est mise en forme à la main ou à l’aide de moules pour constituer des blocs ou des briques généralement séchés au soleil avant d’être mis en œuvre.

La terre est alors souvent enrichie de fibres végétales, comme de la paille ou des herbes locales, pour améliorer la résistance du matériau à la traction.

Différents termes évoquent ce procédé constructif en fonction de la diversité culturelle et géographique du globe.

Dans de nombreux pays d’Amérique latine comme la Bolivie, les maisons d’adobe sont encore le patrimoine de beaucoup de familles modestes.

Si par chez nous, ce procédé apparaît de nos jours comme une alternative écologique, elle est bel et bien en Amérique du Sud une tradition bâtie conservée au fil du temps.

En Bolivie, certaines régions comme celle du Sud-Lipez ou les villages bordant le lac Titicaca, sont particulièrement riches en constructions en terre crue. 

Plusieurs expériences de volontariats au cours d’un itinéraire de plusieurs mois dans le pays m’auront amené à appréhender cette logique de construction de près.

Si la plupart du temps, le motif de ces briques d’adobe reste visible, il arrive parfois qu’une partie de la façade soit aussi recouverte d’un enduit en terre crue comme dans la photographie ci-dessous.

Cette dernière met par ailleurs en évidence la relation directe entre le sol essentiellement constitué de cette terre ocre et les constructions du village en briques d’adobe, obtenues une fois la terre compactée, mélangée à quelques fibres végétaux et moulées de cette forme.

A l’autre bout du pays, le village de Yumani sur l’Isla del Sol, offre un langage de mise en œuvre similaire quant à l’emploi de la matière.

Nous retrouvons également une logique constructive en briques d’adobe qui se déploie à la fois dans les monuments emblématiques, comme l’église ou divers auberges et hôtels du village, dans les murs faisant office de limite parcellaire ou bordant le sentier principal ou encore bien entendu dans les habitations.

En attendant d’expérimenter vous aussi peut-être un jour ce matériau aux multiples atouts en mettant les mains dans la terre, retrouvez très vite tous les détails de la mise en œuvre de l’enduit terre chaux et découvrez l’ambiance d’un chantier participatif lors du prochain article !


ORLANE HUITRIC

Architecte D.E