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La gestion écologique de l’eau dans les bâtiments

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Pourtant essentielle à la vie, l’eau se fait aujourd’hui de plus en plus rare. Avec le réchauffement climatique, la pénurie de cette ressource est un des enjeux majeurs à surmonter pour les prochaines décennies. Cette année particulièrement, suite à un hiver très sec, la majorité des départements sont en stress hydrique. La question de la bonne gestion de l’eau est au cœur des débats : en témoigne les contestations autour de la création de méga-bassines à Sainte-Soline, ou encore les restrictions mises en place cet été.

Face au constat dramatique de la raréfaction de l’eau douce, nous ne pouvons qu’être partagé entre l’angoisse et l’envie d’agir. Mais comment pouvons-nous agir à notre échelle ? Surtout lorsqu’il s’agit de notre propre consommation, il n’est pas toujours évident de savoir quoi faire. Alors, sur quelles stratégies et quels projets prendre exemple ?

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Derrière un système invisible, une réalité impactante

Le système de réseau d’eau publique mis en place au 19ème siècle a permis de grandes avancées dans la qualité de vie des habitants. L’eau courante à domicile, sortant directement du robinet, est donc assez récente. Aujourd’hui, elle est devenue très facilement accessible, peut-être même un peu trop. Il n’est pas évident d’estimer sa consommation d’eau au quotidien, hormis quand on regarde son compteur. Pourriez-vous estimer à la louche votre consommation d’eau par jour ? 10 litres ? 50 litres ? 100 litres ? 100 litres peuvent paraître énormes, mais en réalité c’est encore plus : un Français consomme en moyenne 150 litres d’eau potable par jour, soit 55 m³ par an. C’est 40 litres de plus qu’il y a 40 ans et 120 litres de plus qu’au 18ème siècle.

https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/eau-ressource-a-preserver

Entre 2010 et 2019, 26 % de la consommation d’eau concernait les ménages, les reste allait aux agricultures et aux industries. À domicile, l’utilisation principale vient de l’hygiène corporelle (39 %), puis des toilettes (20 %), puis de la lessive et de la vaisselle (11 % chacun), suivi de la cuisine et de l’arrosage du jardin / de la voiture (6 % chacun), pour finir avec l’eau bue qui représente uniquement 1 %. À noter que l’OMS estime qu’un individu a besoin de 50 litres d’eau par jour pour vivre décemment et au-delà de 100 litres, on peut parler de gaspillage. Nous avons donc une consommation démesurée en France.

Et dans les bâtiments, comment ça marche ?

Il existe 2 préoccupations majeures pour la gestion de l’eau dans les bâtiments : l’apport en eau potable (l’entrée) et la gestion des eaux usées (la sortie). Les eaux usées domestiques sont elles-mêmes réparties en 2 catégories : d’une part les eaux ménagères pour la salle de bain et cuisine, et d’autre part les eaux-vannes provenant des toilettes. Pour ne pas polluer les milieux aquatiques, les eaux usées qui sortent des habitations sont épurées en amont dans des stations d’épuration ou par des dispositifs autonomes. Celles-ci contiennent de nombreuses matières organiques, des déchets et d’éléments pathogènes à éliminer.

Tendre vers l’autonomie pour limiter son impact

Le premier réflexe : diminuer sa consommation

Que l’on souhaite vivre dans une maison autonome ou non, le plus important est de commencer par limiter sa consommation d’eau. Pour cela, plusieurs stratégies sont possibles. Dans l’habitat, cela peut commencer par l’installation de toilettes sèches : pour rappel, une chasse d’eau consomme 9 litres par utilisation et environ 35 litres par jours qui peuvent être économisés.

Pour confectionner soi-même ses toilettes sèches, voici le lien d’un petit tuto pratique :

https://www.18h39.fr/articles/tuto-fabriquez-des-toilettes-seches-recup-pratique-pour-votre-chantier.html

Un autre point important est d’éviter d’avoir une piscine, qui nécessite beaucoup d’eau à renouveler. Si votre terrain s’y prête, la création d’une zone humide comme une mare ou un bassin permettra d’accueillir une biodiversité riche et de garder plus longtemps l’humidité dans le sol, vous pouvez aussi privilégier des plantes qui n’ont pas besoin de beaucoup d’arrosage. À cela, se rajoutent les gestes du quotidien bien connus (fermer le robinet lorsque l’on se brosse les dents, prendre une douche plus courte, …).

Pourquoi se déconnecter des réseaux… d’eau ?

L’un des intérêts de gérer sa consommation en autonomie est de limiter la dépendance aux réseaux. Au-delà des volontés de chacun, il faut savoir que notre système de réseau à un réel impact sur l’écosystème : il consomme énormément de matériaux, perturbe la biodiversité souterraine et n’est pas adapté à certains épisodes climatiques extrêmes, ce qui peut provoquer des inondations. Au total, ce réseau s’étend sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres, soit plusieurs fois le tour du monde ! De plus, le nombre de fuites importantes provoque une grande quantité d’eau perdue.

Un autre aspect est l’importance de réapprovisionner le sol en eau, notamment pour remplir les nappes phréatiques. Pour cela, une gestion des eaux pluviales qui favorise l’imprégnation de l’eau dans le sol plutôt que son ruissellement est privilégié. Cela permet aussi d’éviter la surcharge des réseaux et de diminuer le risque d’inondation en milieu urbain. Le choix des matériaux de sols extérieurs est important : un jardin constitué de terre absorbera l’eau alors qu’une allée goudronnée pour garer sa voiture dans son garage la laissera couler jusqu’aux égouts.

Évidemment, l’autonomie totale n’est pas une obligation et peut être compliquée à mettre en œuvre. Pour commencer, il est possible d’installer une cuve dans son jardin pour récupérer l’eau de pluie. Cela représente déjà des économies considérables et permet de gérer sa consommation de manière plus responsable pour la planète.

L’autonomie en eau : un peu, beaucoup ou pas du tout ?

Pour stocker suffisamment d’eau afin de vivre en autonomie pour une personne, l’installation d’une cuve d’environ 5 000 litres est conseillée (équivalent à 5 m3), ce chiffre est à adapter selon la région (le climat et la pluviométrie peuvent changer), mais aussi en fonction des habitudes de chacun. La petite astuce est d’installer des cuves ou des systèmes de gouttières en dessous de chacune des surfaces planes disponibles. Les toits sont souvent plébiscités, mais il est aussi possible de récupérer l’eau de pluie au pied des panneaux photovoltaïques si vous en avez.

L’eau de pluie récupérée peut être directement utilisée pour laver sa voiture, arroser ses plantes ou nettoyer le sol. Pour le reste, l’eau devra être préfiltrée pour enlever les grosses impuretés, puis filtrée de nouveau à 2 reprises pour enlever les éléments pathogènes et polluants. Attention, une eau de pluie filtrée n’est pas potable et il est conseillé de la faire tester pour s’assurer de sa qualité.

Il est aussi possible d’utiliser un appareil à condensation pour générer de l’eau « pure » à partir de l’humidité présente dans l’air, c’est une alternative à l’eau de pluie qui tombe directement de l’air et qui est polluée. Mais ce dispositif est très énergivore : 700 W pour purifier 1 à 2 litres, cette méthode peut être privilégiée en utilisant des énergies renouvelables comme les panneaux photovoltaïques et utiliser temporairement en période sèche.

Des architectures exemplaires qui coulent de source

En habitat autonome : le cas des earthships

Les earthships, ou géonef en français sont des habitats autonomes et écologiques. Ils ont été développés aux États-Unis au début des années 70 et sont reconnus pour leur forte durabilité et leur gestion frugale des ressources. Ils sont principalement issus de matériaux de récupération, comme les pneus qui constituent leurs fondations, et sont construits à moitié enterrés. L’atout principal de l’earthship est sa forte autonomie : de son autoconstruction et son autosuffisance en eau et en énergie. Il en existe environ un millier dans le monde, dont une vingtaine en France.

Pour répondre au besoin en eau, l’earthship est équipé de 2 citernes enterrées de 10 000 litres. Cette eau est récupérée depuis la partie de la toiture en bac acier, puis triée. Une partie est consommée directement en eau non-potable et l’autre partie est filtrée plusieurs fois puis transférée dans un 3ème réservoir de 500 litres. L’inconvénient ici est que les filtres nécessaires à la potabilisation de l’eau doivent être régulièrement remplacés.

Les qualités écologiques des earthships sont parfois controversées, il faut cependant remettre cet habitat dans son contexte : il a été développé pour s’intégrer dans le climat aride des déserts États-uniens. Transporté dans un autre climat, ses qualités peuvent être remises en question. Quant à la question de l’eau, la question de l’autonomie totale souhaitée est questionnable pour certaines activités si un réseau se trouve à proximité, toujours pour des questions sanitaires.

Pour plus d’informations sur les earthships en général, vous pouvez lire :

À grande échelle : l’extension de l’usine l’Oréal

Pour finir cet article, nous allons nous intéresser à un projet qui économise l’eau à plus grande échelle. Il s’agit de l’extension de l’usine l’Oréal à Caudry. Finalisé en 2021, ce projet s’étale sur une surface de 3400 m² pour un coût total de 7,6 M€ HT.

Dans ce bâtiment au label HQE, l’eau pluviale est récupérée sur les grandes surfaces de toiture, afin de participer à la régénération thermique et à l’amélioration des échanges géothermiques. Les eaux sont ensuite renvoyées dans le sol afin de reconstituer la nappe phréatique à proximité. De plus, les eaux usées sont traitées par une station interne en microfiltration céramique qui alimente un plan d’eau rempli de carpes à l’entrée du site, ce qui permet à la biodiversité de se développer.

Autre particularité du projet : cette usine abrite des matériaux hautement inflammables, et elle est isolée en… paille ! Bien que cela puisse paraître contre-intuitif, la paille possède une très bonne résistance au feu, car c’est un matériau très compact.

Gestion et usage de l’eau en écoconstruction : le mot de la fin

Si vous souhaitez en savoir plus sur la construction écologique et l’adaptation aux changements climatiques, vous pouvez aussi consulter :

ARGANTAËL BEUCHERIE

Architecte diplômée d’état et certifiée Pro Paille