C’est en lisant l’inspirant livre l’Âge des Low Tech de Philippe Bihouix, que je me suis rendue compte du non-sens de certaines technologies récentes, pourtant vendues comme révolutionnaires. Jusque dans nos lieux de vie, qu’il s’agisse de véritables innovations ou de simples gadgets, nous sommes entourés d’objets connectés.
Face à la raréfaction des ressources, au besoin de baisser notre consommation d’énergie et au greenwashing omniprésent, la question de la compatibilité entre nouvelle technologie et écologie se pose. Dans cette course, deux camps s’opposent radicalement : le tout technologique contre les low-techs. Les partisans de cette seconde solution prônent un retour à des procédés plus sobres et basés sur la nature. Quelle direction paraît la plus pertinente pour sauver notre planète ?
L’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas
Notre niveau de confort ne cesse d’augmenter

Il me semble important de commencer cet article par une notion primordiale et parfois oubliée : chaque action, chaque production, chaque consommation d’énergie, même la plus minime et verte possible, impacte l’environnement. L’énergie la plus propre est bien celle que l’on ne consomme pas, et on ne le répétera jamais assez. La priorité est donc avant tout de favoriser une stratégie de sobriété, pour ensuite voir comment l’énergie nécessaire sera produite. Il faut se poser la question : en ai-je réellement besoin ou s’agit-il d’un énième gadget dont je ne me servirai pas (ou peu) ? Quelqu’un de mon entourage pourrait-il me le prêter plutôt que de l’acheter ?
Pourtant, cette priorité n’est pas encore assez prise en compte dans nos actions et dans le débat public. Personne ne pourra nier que notre confort de vie a considérablement augmenté ces dernières décennies. Nous avons accès à une abondance de biens et de services, notamment grâce à l’apparition de l’électricité dans les foyers, mais aussi l’arrivée de nombreuses nouvelles technologies. Le temps où l’on allait chercher l’eau au puits et l’on lavait le linge au lavoir paraît bien loin. Et pourtant, en 1954 seulement 2 % des foyers étaient équipés d’une machine à laver. A peine 20 ans plus tard, on observe un bond considérable de ménages possédant cet appareil et divers autres équipements électroménagers. À partir des années 1990, on observe le même phénomène avec les appareils électroniques.

Le problème est que l’amélioration de notre niveau de confort est intimement liée à une consommation supplémentaire en ressources. Cette évolution rentre en conflit avec le retour à la sobriété, nécessaire au bon équilibre de notre environnement. Dans le bâtiment aussi, cette tendance s’observe. Premièrement, au niveau de nos équipements qui ne cessent d’être plus élaborés et plus nombreux, en témoigne nos cuisines tout équipées. Prenons l’exemple du chauffage : il y a quelques décennies, il était courant de se chauffer grâce à un poêle ou un unique feu de cheminée. Comme le rappel un article du Nouvel Obs, il était préconisé de garder une température intérieure à 15°C, bien loin des 19°C conseillés par le gouvernement aujourd’hui, et encore plus loin des 20°C de température moyenne mesurée dans les foyers français.

Les grands enjeux de sobriété pour nos bâtiments
Au-delà de la question de l’énergie consommée pendant l’utilisation d’un bâtiment, il faut aussi prendre en compte son passé et son futur. Chaque objet, outil ou matériau à un impact environnemental à différentes étapes : c’est ce qu’on appelle un « cycle de vie ». Lors de la vie d’un bâtiment, celui-ci ne pollue pas uniquement lors de sa construction ou de son utilisation. Son action sur la planète s’opère dès l’extraction du premier grain de sable qui servira à confectionner ses matériaux, et se terminera à l’élimination du dernier grava après sa démolition. D’autres étapes intermédiaires s’ajoutent, comme la phase de chantier avec ses utilisations de machines diverses et son transport de matériaux, d’outils et de personnes.
Comme le rappelle l’ingénieur engagé Philippe Bihouix dans son livre, un urbanisme soutenable pour notre planète doit prendre en compte 4 enjeux principaux :
– « Réduire la quantité d’énergie consommée par le parc existant » : par exemple par la réalisation d’une isolation complémentaire, puis remplacement des vieux équipements pour des systèmes plus performants et économes.
– « Arrêter l’artificialisation et le morcellement des territoires » : en France, près de 30 000 hectares sont consommés chaque année. Et le pire, c’est que l’artificialisation augmente beaucoup plus vite que la population. Il y a donc un réel problème de gestion de la densité de nos constructions, mais aussi de la taille et de la mutualisation des espaces dans lesquelles nous vivons.
– « Inverser la tendance à l’urbanisation et à la concentration » : nos grandes villes posent de nombreux problèmes en termes de pollution, on y observe une forte émission de CO2 et très peu de biodiversité. Mais l’enjeu ici est de ne pas transposer le problème en créant une périurbanisation qui contribue grandement au développement de l’artificialisation du territoire.
– « Réduire drastiquement le volume de constructions » : Le ratio m² / personne dans un logement est en constante augmentation, alors que le nombre d’habitants par foyer est en baisse. Un des enjeux de demain sera donc de penser une manière d’habiter plus « dense » et partagée, en mutualisant un maximum d’espaces. Dans la même lignée, la priorité devra être donnée aux opérations de rénovation et de réhabilitation de bâtiments existants, plutôt que de favoriser des nouvelles constructions plus consommatrices d’énergies et de matériaux.
Ce livre dédié aux low-techs, complet et percutant, est disponible aux Editions du Seuil :
https://www.seuil.com/ouvrage/l-age-des-low-tech-philippe-bihouix/9782021160727

L’Age des Low-Techs
Derrière le Cloud, la réalité des data centers
La technologie signifie « l’étude des outils ». Plus un produit est technologique, et plus il est élaboré. Par exemple, la construction d’une cabane de jardin n’a pas demandé autant de connaissance que celle d’un immeuble de grande hauteur en plein centre de Paris. Les « High tech » sont donc des éléments très poussés dans leur technologie et complexes à mettre en œuvre. Au contraire, les lowtechs sont des procédés simples, accessibles et aisément compréhensibles. Par essence, ils sont plus facilement réparables, transformables et démontables. C’est l’idée de « faire mieux avec moins », tout en favorisant l’énergie gratuite et disponible dans la nature.
Derrière les nouvelles technologies élaborées se trouve une réalité tangible et plus dure à conscientiser, car moins visible. Pourtant, elles ont un impact conséquent sur l’environnement. Les data centers demandent énormément d’électricité pour stocker les informations disponibles sur Internet, sans parler des problèmes de l’extraction et de la transformation de ressources rares. Il faut donc le prendre en compte lorsqu’un objet « vert » est présenté. Certaines nouvelles technologies permettent de réguler l’ambiance intérieure de nos bâtiments de manière automatisée et contrôlée, c’est ce que l’on appelle la domotique. Elles permettent de réaliser une économie d’énergie considérable dans le bâtiment, par exemple en allumant le chauffage 1h avant d’arriver chez soi via son téléphone, au lieu de chauffer toute la journée. Derrière cette promesse écologique bien réelle au moment de l’utilisation du produit, la question du réel bénéfice sur l’ensemble de son cycle de vie se pose.
Le low-tech dans nos bâtiments

En contrepoint des technologies créant une atmosphère intérieure « sous vide », la stratégie bioclimatique propose de prendre parti de l’environnement dans lequel un bâtiment est construit. Cela passe par son orientation, mais aussi par l’exploitation des propriétés naturelles des matériaux disponibles à proximité. Le retour en grande pompe des matériaux biosourcés (paille, chanvre, bois, …) et géosourcés (terre, …) illustre leur capacité à créer des ambiances intérieures agréables, rivalisant ainsi avec grand nombre d’appareils électroniques que nous utilisons.
La plupart de nos articles présentent des architectures low-techs et sobres. C’est par exemple le cas des équipements publics de la ville de Rosny-sous-Bois dont la gestion de la ventilation se fait naturellement :
Vous pouvez aussi consulter notre article sur le mouvement de la frugalité heureuse, qui reprend point par point les stratégies à appliquer :
Et si vous souhaitez encore approfondir cette thématique, l’Ordre des Architectes propose une BD et des podcasts à ce sujet :
https://www.architectes.org/actualites/la-renovation-low-tech-en-bd-et-en-podcasts
Ecologie et nouvelles technologies : le mot de la fin
La question de la compatibilité entre technologie et écologie est un sujet vaste qui ne pourrait être résumé en un seul article et sur lequel de nombreux experts sont en désaccord. Il n’existe pas de réponse aisée, toutefois les stratégies de sobriété sont de plus en plus mises en avant dans le monde du bâtiment. Ce qui était vu hier comme un « retour en arrière » est aujourd’hui perçu sous l’angle du bon-sens et sera, il faut l’espérer, la norme de demain. D’un autre côté, les nouvelles technologies nous apportent une amélioration considérable du confort de vie, ce qui n’était pas possible il y a encore quelques décennies.

L’enjeu actuel est certainement de trouver un équilibre entre nos envies, nos réels besoins et les limites de la planète sur laquelle nous vivons.

ARGANTAËL BEUCHERIE
Architecte diplômée d’état et certifiée Pro Paille