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Un modèle de ville durable : le ksar de Tafilelt

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Photo : @Abder.Zidane

Une réinterprétation du patrimoine vernaculaire dans la construction de nouvelles cités durables

Près d’un tiers de la surface terrestre de notre planète se trouvent dans des zones désertiques avec des conditions souvent rudes et difficiles face aux températures extrêmes ou encore la raréfaction de l’eau potable. Avec les quelques degrés futurs attendus causés par le réchauffement climatique, le phénomène d’aridification (c’est-à-dire l’assèchement d’un territoire) s’intensifie et de nombreux territoires subissent une expansion des zones désertiques.

Entre autres, le Sahara a connu un agrandissement de 10% entre 1920 et 2013[1], s’agrandissant notamment vers le Sahel, zone semi-désertique. Pour s’adapter à ce type de climat, des villes ont dû créer des dispositifs alliant résilience environnementale et solidarité citoyenne afin de continuer à vivre dans un climat vivable.


[1]Fritz Jean-Paul, « Changement climatique : les déserts s’étendent, et voici pourquoi c’est grave », L’OBS, août 2018.

 C’est le cas du ksar[1] de Tafilelt, situé dans le sud de l’Algérie dans la wilaya de Ghardaïa, projet initié à la fin des années 90 et totalement achevé en 2015, conçu dans le but d’extension de l’ancien Ksar Beni-Isguen. Grande gagnante du 1er prix de la « ville durable » lors de la COP 22 au Maroc, cette « éco-cité » cache une richesse culturelle et architecturale qui témoigne d’une harmonie entre l’humain et son environnement aride.

Les ksours (« ksar »au pluriel) sont des bâtis emblématiques conçus afin de se protéger des conditions climatiques extrêmes du désert. Construit dans un but de préservation de l’identité socio-culturelle de la vallée de M’Zab , cette opération s’inspire de l’habitat traditionnel mozabite afin d’améliorer l’accès au logement pour des ménages à faibles et moyens revenus.  

En Algérie, la crise du logement se fait particulièrement ressentir, notamment dans cette région, rendant impérative la création de nouvelles habitations avec la volonté de ne pas empiéter sur les palmeraies et autres ressources naturelles, contrairement à ce qui a été observé dans le développement d’autres villes algériennes.

Initié par un promoteur privé, le projet repose sur un partenariat triparti : acteurs privés, public avec l’aide de l’État et associations civils, plus particulièrement « Amidoul ». Le projet est ainsi constitué d’un ensemble urbain doté de commerces, écoles, centre psychopédagogique, salle de sport et des fêtes, bureaux et majoritairement d’habitations. La surface totale couvre 22,5 ha se situant sur une colline rocheuse afin de préserver les terres agricoles.

1 050 maisons pour un total de 6 000 habitants surplombent la vallée : les 76 000 m² de surface résidentielle ont pu voir le jour grâce à une acquisition provenant du domaine public, vendu à bas prix.


[1] Ksar : village fortifié en pisé du Sahara

Entraide et partage du savoir

Outre la dimension écologique sur laquelle repose le cœur du projet, la démarche est développé en partie autour du spectre social et de la solidarité : les constructions se sont déroulés dans le cadre d’un chantier participatif avec l’aide des futurs habitants selon un système d’entraide et de coopérations à l’égard des plus démunis déjà présents dans la région, la touiza. Ainsi, les participants peuvent intégrer le chantier le week-end ou bien en semaine, en fonction de leur disponibilité et de leurs compétences permettant au bénéfice de tous, de réduire les coûts du chantier. La touiza se développe aussi par un système de récoltes pour compléter les paiements des maisons des personnes les plus démunies.

La construction s’est déroulée en plusieurs phases, la première comprenant plus de 200 habitations, dans le but d’étudier comment les habitants investissent les espaces et si des ajustements dans l’utilisation étaient nécessaires pour les futures étapes du projet. Les seules modifications apportées ont été des réductions et agrandissement des superficies des pièces intérieures. Il est à noter que la maîtrise d’usage a été pleinement intégrée au projet, ce qui constitue un élément essentiel pour garantir la bonne fonctionnalité des espaces. 

Un urbanisme traditionnel et respectueux de l’environnement

Suivant les principes des habitants du M’Zab, les maisons sont identiques à l’extérieur et rien ne laisse paraître du « rang social » du propriétaire. Ce concept était appliqué dans la construction des médinas dans le Nord-Africain, où les maisons à patio (« dar » et « riad ») ne laissaient rien paraître de la richesse.    

Photo : @Abder.Zidane

Le cœur du projet réside entre typologie individuelle et collective afin de créer une multitude d’espaces partagés. La structure urbaine compacte permet de réduire les rayons solaires directs et ainsi les surfaces de surchauffe, notamment sur les voies secondaires et tertiaires. Par ailleurs, elle permet de casser les vents dominants (sableux) et crée de nombreuses zones d’ombres notamment pendant les périodes de fortes chaleurs.

La forme urbaine reprend ainsi les codes de l’habitat traditionnel mozabite, en y intégrant les commodités contemporaines (comme des largeurs de rues plus conséquentes pour la circulation des véhicules).

Cette architecture distinctive de la région du M’zab se caractérise notamment par :

  • Des systèmes de voûtes : avec une ossature en nervure de palmier, de pierre et d’un liant (en l’occurrence le plâtre), le tout recouvert d’un enduit de chaux
  • Des murs épais, en pisé, le plus souvent laisser en blanc afin de diminuer la chaleur captée par les parois
  • Une surface de murs rugueuse afin d’assurer un ombrage
  • Un système de maison à patio : afin de faire pénétrer la lumière et le vent au sein de l’habitation

Ces principes se manifestent également dans les ruelles, où les passages couverts voûtés structurent l’espace public et agissent comme un moyen de ventilation naturelle en accélérant la circulation de l’air (exploitant l’effet Venturi). D’autres éléments architecturaux, tels que les encorbellements, sont aussi utilisés pour créer de l’ombre dans les rues, réduisant ainsi la durée d’exposition au soleil.

De nombreux jardins de quartier parsèment la ville, créant ainsi des îlots de fraîcheur. À une plus grande échelle, un « éco-parc » a été conçu pour encourager la biodiversité. Chaque résident qui s’installe dans la cité est invité à planter un dattier, un arbre fruitier et un arbre d’ornement, dont il peut récolter les bienfaits. De plus, l’éco-parc abrite divers animaux qui sont nourris grâce au tri sélectif effectué par les habitants. En retour de leur participation au tri, ces derniers reçoivent des produits tels que du lait, des œufs ou même de la viande.

La ville est subdivisée en plusieurs îlots, chacun comprenant de 20 à 30 maisons. Chaque semaine, un propriétaire est désigné pour assurer la propreté de son îlot pendant cette période, ce qui permet de maintenir les rues de la ville en bon état. De plus, il convient de noter que plus de la moitié des eaux usées sont soumises à un processus de traitement écologique, une ressource précieuse qui fait défaut cette zone géographique. Grâce à l’abondance de soleil dans le désert, ce ksar moderne intègre des systèmes d’énergie solaire pour répondre à ses besoins en électricité, notamment pour l’éclairage public, contribuant ainsi à réduire son empreinte carbone.

Exploiter les ressources locales

Les hauteurs des bâtiments sont déterminées en fonction de la hauteur maximale du soleil en hiver, ce qui favorise un ensoleillement optimal tout en minimisant l’ombrage des façades arrières. Pas de maisons à 4 façades : un minimum de surface exposée face à l’ensoleillement conséquent grâce à la mitoyenneté des maisons. Chaque logement est composé d’un R+1 ainsi qu’un toit terrasse, qui constitue un espace de vie nocturne durant les chaudes nuits d’été.

Le patio, fréquemment doté d’une couverture, offre un confort particulièrement apprécié durant les mois d’été. Il favorise une ventilation et une circulation de l’air naturel en lien avec les moucharabieh prévus sur la façade, tout en apportant de la luminosité aux pièces qui l’entourent.  Ces moucharabieh permettent eux aussi un apport de lumière en filtrant la lumière du soleil tout en laissant circuler l’air, ce qui contribue à maintenir l’intérieur plus frais.

               Les choix des matériaux de construction reflètent la relation profonde entre les habitants de la région et leur environnement désertique. Les ressources locales, telles que la chaux et la terre crue, sont privilégiées en raison de leur capacité à s’adapter au climat aride grâce à une excellente inertie thermique. De plus, elles sont recyclables et peu coûteuses. Les murs porteurs sont principalement construits en blocs de pierre, tandis que les murs en pisé et le bois de palmier sont utilisés pour créer les structures secondaires.

Quant au revêtement extérieur, il s’inspire de la technique traditionnelle du mortier de chaux aérienne. Cette méthode est principalement utilisée pour le joint des pierres et, lorsqu’elle est associée à des fibres, elle renforce l’isolation thermique du bâtiment.

Photo : @Abder.Zidane

Un modèle de conception applicable de manière universelle

Cette approche favorise un triptyque harmonieux entre vie sociale, besoins économiques et préservation de l’environnement. Elle s’impose comme un modèle de développement durable de premier plan en raison de son engagement en faveur des pratiques locales et solidaires, parfaitement adaptées à la culture et à l’environnement spécifiques du désert algérien.

Le ksar de Tafilelt témoigne non seulement d’une compréhension approfondie des réalités locales, mais il met également en lumière la richesse de la culture et des traditions des habitants de la vallée, qui ont su exploiter astucieusement leur environnement pour créer des espaces de vie à la fois fonctionnels et durables.

Sources :

  • « Une expérience innovante en marge des opérations de logements « standards » : Le Ksar de Tafilelt, un nouvelle fois récompensé » par Keira Bachar. Publié sur RURAL-M Etudes sur la ville – Réalités Urbaines en Algérie et au Maghreb, le 22 novembre 2016.
  • Mémoire : « L’intégration des dimensions environnementale et sociale dans les pratiques urbaines en Algérie : enjeux et prespectives » par BACHAR Keira, Université du Maine.

WASSIL AMIR

Architecte diplômé

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