intensité sociale

Stratégie bioclimatique : et la dimension sociale dans tout cela ?

Louisa Frangeul Actualité Ghara

« Dans le contexte de la RE2020 et du développement de l’usage des matériaux biosourcés, les premiers de cordée de la profession semblent y voir surtout la réponse d’une optimisation industrielle.

Certes l’aspect technologique de cette règlementation est importante, néanmoins il serait dommage de négliger les particularités humanistes citoyennes, artisanales et associatives associées aux filières originelles des matériaux biosourcés, Autrement dit d’en négliger l’intensité sociale.

Pour nous tous, le concept d’intensité sociale évoque quelque chose de fort mais nous avons encore du mal à en dresser les contours dans la profession.

Mais qu’est-ce que l’intensité sociale ?  

Essayons d’illustrer et de chiffrer l’intensité sociale d’une stratégie bioclimatique à partir d’indicateurs determinés comme le fait Alain Marcom de la scop Inventerre :

– l’énergie grise (ou énergie incorporée) exprime le niveau de prédation de ressources dans l’environnement d’un bien ou d’un service.

les émissions de gaz à effet de serre (CO²) indiquent une idée de niveau de production de déchet d’un bien ou d’un service.

l’intensité sociale en emploi (ou temps de travail humain) rapportée à l’énergie incorporée. ISE.

C’est un ratio qui peut illustrer la socialité d’une production de bien ou de service.

En quoi cette approche est astucieuse ?

Cette approche est astucieuse car elle permet de se poser différemment la question des valeurs et de situer le débat à un autre niveau. Une multitude de questions se posent alors : souhaite t-on favoriser le travail fait par l’homme ou celui fait par la machine? Intensité sociale ou intensité énergétique? Bonheur National Brut ou Produit Intérieur Brut ?

Comment redistribue t-on la plus value du bien produit : en rémunération du travail humain ou en rémunération du capital financier ou technologique ?

Qu’obtient-on en quantité de travail humain pour tant d’énergie consommée ?

Pour construire quoi ? Pour répondre à quels besoins?

Quel est le coût carbone de l’énergie déployée pour un m² ou un bien construit? Et là on voit tout de suite que le travail de l’homme, de l’artisan, du paysan, des soignants(…) compte tenus des enjeux environnementaux cruciaux reprend tout de suite une importance fondamentale.

Bonheur travail

Coût carbone au m2 construit associé au coût de la tonne de CO2 émise :

L’ADEME vs L’académie de Chicago

C02 écoconstruction

L’université de Chicago (bien réputée business quand même) a sorti en septembre 2020 une étude intitulée “The ultimate cost of carbon” qui, en fonction de différents scénarios envisagés (montées des eaux, évènements climatiques, catastrophes naturelles, bouleversements sociaux, vagues migratoires….), cherche à évaluer, au delà des incidences sur notre seule génération, le coût réel pour l’humanité de nos pratiques et usages carbonés d’aujourd’hui. Elle évalue un coût moyen de la tonne carbone émise à 100 000 dollars dans une fourchette comprise entre 10 000 et 750 000 dollars.

Et l’ADEME ?

Le coût estimé par l’ADEME à ce jour est de 65€..! Autrement dit environ 1200 fois moins que le coût moyen estimé dans cette étude.

Mais alors de quelle marge disposerions-nous en terme de réflexion sur la nature et la valeur du travail humain si le coût pris en compte de la tonne de CO² émise se rapprochait de cette moyenne ?

Cette notion d’intensité sociale se rapproche donc bien plus des métiers de l’artisanat que de ceux de l’industrie.

L’intensité sociale par Hannah Arendt

Dans la “Condition de l’homme moderne”, Hannah Arendt aborde cette notion d’intensité sociale quand elle oppose “l’homo-laborens” à “l’homo-faber”.

Elle mentionne :

  • D’un côté un humain qui se fatigue et peine sous la contrainte du “labor” de l’organisation du travail pour fabriquer un produit destiné à être possédé ou consommé puis détruit
  • De l’autre un humain qui s’accomplit en réalisant une oeuvre “utile” destinée à être reproduite.

D’un côté on “co-labeur”, on se bat ensemble, selon les principes du taylorisme ou du fordisme et de l’autre on co-opère à la réalisation d’une oeuvre commune.

L’intensité sociale et son halo

Autonomie, coopération, culture, dignité , plaisir d’apprendre, plaisir de faire, expérience, estime de soi, accomplissement, partage, lien social. L’intensité sociale recouvre toutes ces notions essentielles. Des concepts difficilement réductibles à des chiffres ou des preuves scientifiques mais qui ont pourtant une très grande valeur.

Qui, mieux que nous, acteurs de l’écoconstruction, peut s’appuyer sur ses savoir-faire, ses métiers pour illustrer ces valeurs dans un secteur du bâtiment conventionnel bien loin d’être un modèle de vertu et d’exemplarité.

Je pense que nous avons la légitimité, la responsabilité et même le devoir de le faire. Pour peu qu’on ne s’oublie pas et ne  perde pas notre âme en route!

La réponse industrielle en réalité est la réponse de facilité.

La réponse des fainéants de la pensée et du coeur, des aveugles au royaume des sourds.

Je vois une autre expression plus collaborative, plus citoyenne de l’intensité sociale, toujours en lien avec nos métiers issus des biosourcés. L’auto-construction, le chantier participatif, l’habitat participatif (où le biosourcé est un élément fondateur et fédérateur de groupe) sont autant d’expressions de choix politiques d’acteurs engagés à la recherche active de sens.

Et puis l’intensité sociale c’est peut-être aussi une expression intérieure d’accord de vie ressenti. Une sorte de vibration subtile, de longueur d’onde positive et énergétisante ressentie quand on œuvre, par son activité, à la réalisation de quelque chose d’utile et de sensé.

On ressent quelque chose de cet ordre par exemple quand on pose des bottes de paille ou qu’on réalise des enduits terre. Et ça, ça vaut combien ? On la refait, l’étude de Chicago ?

J’suis moins stressé, j’tombe moins malade, j’prends moins de médocs et j’picole moins… Non, je plaisante, j’arrête là. »

Jean-Michel

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