massification reemploi

Le réemploi des matériaux de construction

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Vers une massification de la pratique en France

Réemploi : rapide définition

Dans une ère où les enjeux environnementaux sont au cœur des préoccupations, la notion de « réemploi » des matériaux de construction émerge comme une réponse logique et responsable. Dans l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, le réemploi est définit comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ».

Le principe des «3R» – Réduire, Réutiliser, Recycler – connus comme système de gestion des déchets, est désormais revisité dans le contexte du réemploi et de la construction, il devient : Remployer, Réutiliser, Recycler.

À l’origine, le terme Réduire était associé à l’action de l’utilisateur à limiter sa consommation, en vue de diminuer son empreinte énergétique et la quantité de déchets générée. Dans le cadre de la construction, le réemploi des matériaux offre également un moyen de Réduire la quantité de déchets, en évitant de jeter et de produire de nouvelles quantités de matériaux. Voici une définition simple des 3R de Jean Marc Huygen :  « Je différencie trois actes de récupération distincts : la réutilisation, qui consiste à se resservir de l’objet dans son usage premier ; le réemploi d’un objet ou de parties d’objet, pour un autre usage et le recyclage, qui réintroduit les matières de l’objet dans un nouveau cycle »[1]. Aujourd’hui la tendance est au réemploi et à la réutilisation, car il faut savoir que le recyclage, qui est donc la transformation d’une matière en une autre est bien plus énergivore. Dans cet article nous ne parlerons que de réutilisation et de réemploi.


[1] Jean Marc Huygen (La Poubelle et l’architecte  : Vers le réemploi des matériaux) 

Siège du Conseil Européen à Bruxelles, composé de vieux châssis de fenêtres collectés dans chacun des Etats membres.
Philippe Samyn – © Philippe Samyn and Partners

Les raisons qui poussent au réemploi

Le secteur du BTP est responsable de 70% des déchets produits en France, comprenant les routes, les infrastructures, les bâtiments, etc. Les matériaux de construction portent une part colossale,  « 56 % de l’impact carbone d’un bâtiment sur toute sa durée de vie provient des matériaux »[1]. Face à une planète en crise, le réemploi se présente comme une alternative évidente, offrant une panoplie de solutions face à des problèmes pressants :

  • La raréfaction des ressources naturelles et la pénurie de certains matériaux de construction, par exemple après le Covid-19, nous avons pu observer une pénurie sur un grand nombre de matériaux comme le Bois, le PVC, l’aluminium, etc.
  • L’augmentation des déchets, en particulier dans le secteur de la construction, nécessite une transition vers des pratiques plus responsables. D’autant plus que les dernières décennies, les efforts fait face aux déchets produits dans le secteur du BTP se concentraient sur le tri et la valorisation des déchets, et non pas sur leur réduction.
  • L’inflation des prix des matériaux de construction encourage les particuliers comme les entreprises à s’orienter vers des solutions plus économiques, comme le réemploi.

En plus de proposer des alternatives à ces problèmes globaux, le réemploi offre des avantages vis-à-vis d’une meilleure qualité à moindre coût. Par exemple le parquet ou les équipement sanitaires qui sont des produits couteux sont très simple à déposer et remettre en œuvre. Nous pouvons également noter que le secteur du réemploi grandit et offre une grande quantité d’emplois, pour tous les goûts et tous les niveaux d’études, allant de l’ingénierie au reconditionnement des matériaux.


[1] Cycle uphttps://site.cycle-up.fr/notre-univers-du-reemploi/bonnes-pratiques/reemploi-solution-enjeux-climat-ressources/

Classification et objectifs de valorisation des déchets du bâtiments

Il semble nécessaire de distinguer les différents déchets issus du bâtiment afin de pourvoir anticiper leur revalorisation. Voici la manière dont ils sont classifiés aujourd’hui [1] :

L’objectif Européen définit dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 aout 2015 était d’arriver à 70% de déchets du BTP revalorisés en 2020. Aujourd’hui il semblerait que nous soyons proche de cet objectif, mais en ayant accentué les efforts sur le recyclage et la production d’énergie liée à l’incinération. Bien que les avantages du réemploi et à la réutilisation soient évidents, sa mise en œuvre reste limitée, représentant moins de 1 % des matériaux de construction utilisés en Europe[2]. Malgré cela, son potentiel en tant que réponse aux défis environnementaux et économiques actuels est indéniable, elle rentre tout à fait dans la logique d’économie circulaire actuelle.


[1] Schéma auteur, source chiffres https://www.ecologie.gouv.fr/produits-et-materiaux-construction-du-secteur-du-batiment-pmcb (2023)

[2] Cycle uphttps://site.cycle-up.fr/notre-univers-du-reemploi/bonnes-pratiques/materiaux-faciles-reemployer/

Voici un schéma représentant les objectifs de valorisation des déchets du bâtiment[3] :

[3] Schéma Auteur

Aujourd’hui, plus que de revaloriser les déchets issus du bâtiments, l’objectif et d’amoindrir les quantités de déchets, de « vider les bennes ». Et ceci n’est possible que par la réutilisation et le réemploi. Ces pratiques sont de plus en plus encouragées par les institutions.

Évolution législative incitant au réemploi en France

La Loi ESSOC et le « permis d’expérimenter » 

Les architectes et les maîtres d’ouvrages ont souvent pu se retrouvé dans la situation suivante, ils avaient l’envie de faire et d’expérimenter des architectures bas carbone, construire avec des matériaux bio-sourcés et issus du réemploi. Mais ils ont aussi pu se retrouver souvent face à des lois, des normes, un PLU trop restrictif, leur interdisant de construire ainsi. Initié par Patrick Bouchain avec le « permis de faire » en 2016 (Loi LCAP), le « permis d’expérimenter » permet depuis 2018 de dépasser certaines restrictions règlementaires et de pouvoir appuyer l’utilisation de biais architecturaux innovants et écologiques. La loi ESSOC permet également de justifier le fait que des matériaux réemployés peuvent être aussi performant que des matériaux neufs.

La RE2020

La RE2020 qui succède à la RC2012 est plus stricte que sa précédente sur l’impact carbone des nouvelles constructions. Par un système de point, elle prend en compte la qualité des matériaux, l’ensoleillement, l’isolation etc. Il ne faut pas dépasser un certain seuil. Et afin d’inciter les maitres d’ouvrage à faire appel au réemploi et à la réutilisation, les matériaux issus du réemploi équivalent à une émission carbone nulle.

Diagnostic PEMD (Produit Équipement Matériaux et Dechet) 

C’est l’évolution du diagnostic déchet, il permet d’évaluer le potentiel de réemploi des matériaux de bâtiments démolies ou réhabilités. Il est imposé pour tout ouvrage supérieur à 1000m2 de surface au sol, en neuf ou en réhabilitation. Il comprend un inventaire des composants du bâtiment, détaillant l’état de chaque matériau afin de les classer en différentes catégories (à réemployer/à recycler/à jeter). Il peut s’accompagner d’une analyse de ré-employabilité de ces matériaux, de l’accompagnement d’une dépose sélective et soignée des matériaux ainsi que de la logistique et du stockage nécessaire. Le maître d’ouvrage risque 45000€ d’amande en cas d’absence de diagnostic. Ceci semble être une grande avancée, cependant d’après Cycle Up, le diagnostic PEMD reste trop limité, il n’impose aucune réutilisation/réemploi, il ne fait que l’inciter.

Les Labels et certifications 

Ils ne sont pas obligatoires, mais permettre à une maitrise d’ouvrage de faire reconnaitre la performance de son bâtiment. Il s’agit d’un système de point, il faut arriver à un certain total de point pour obtenir un label ou une certification. Par exemple, la certification NF HQE destinée au bâtiments tertiaires accorde 3 point si au moins trois éléments issus du réemploi sont intégrés au projet.

Les limites assurantielles 

Le réemploi reste une pratique peu courante, et les matériaux réemployés peuvent dans certaines situations perdre leur assurance. Il semble souvent difficile de convaincre des assureurs d’assurer certaines parties du bâtiment issues du réemploi. Par exemple, une toiture faire de chaume récupérée…. Il faudra alors passer par un bureau de contrôle qui attendra un référentiel important qui pourra alors valider la fiabilité de la réalisation. Ceci dit cette action peut représenter un certain coût. Il faut attendre un peu que la pratique du réemploi se démocratise pour faciliter cette partie assurantielle.

Les acteurs du réemploi

La maitrise d’ouvrage

Les maîtres d’ouvrages, privés ou public sont les premiers maillons de la chaine pouvant faire preuve d’initiative sur le réemploi et la réutilisation des déchets de construction. Selon la taille de l’ouvrage, ils sont dans l’obligation de faire au minimum un diagnostic PEMD si la superficie est supérieure à 1000m2. Cependant ils peuvent aller au-delà du cadre règlementaire et peuvent initier une démarche plus profonde, comme s’approvisionner en matériaux issus du réemploi, faire du réemploi ex-situ, ou du réemploi In Situ, demandant une organisation du chantier et logistique plus importante. Ils seront alors généralement accompagnés d’une AMO/AMOE réemploi.

Les architectes et les bureaux d’études

Les architectes et bureaux d’études sont essentiels pour favoriser le réemploi des matériaux de construction, certains sont spécialisés dans le domaine du réemploi. Leur rôle inclut la conception de bâtiments avec des matériaux existants et locaux, la collaboration avec les entreprises de déconstruction, et l’éducation des clients sur les avantages environnementaux. Ils encouragent l’innovation, la traçabilité des matériaux et la circularité, contribuant ainsi à réduire l’impact environnemental de l’industrie du bâtiment. À travers des choix judicieux, la documentation des matériaux et la recherche continue, ils façonnent une approche plus durable en intégrant des principes de réutilisation dans la construction.

Les plateformes

Ces dernières années ont vu une prolifération de plateformes de réemploi, dédiées à la redistribution et à la vente de matériaux de construction récupérés. Ces plateformes se distinguent par leur expertise dans l’identification, la vérification de la qualité et la mise en valeur des matériaux réutilisables. Grâce à leur rôle de médiateur entre les fournisseurs et les acquéreurs, ces plateformes facilitent l’accès à des ressources de construction durables, contribuant ainsi à la réduction des déchets et à la promotion d’une économie circulaire dans le secteur de la construction.

JULIETTE BOUCHEND’HOMME

Architecte D.E