L’expérimentation bioclimatique dans l’habitat collectif : quel confort thermique d’été et d’hiver pour les habitants ?

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Si expérimenter le bioclimatisme dans le logement collectif peut à terme réinterroger les pratiques habitantes et ainsi influencer l’expérience environnementale au quotidien, nous allons voir que des différences d’usages s’installent quand nous passons de la théorie à la pratique !

Pour cela, prenons l’exemple de deux opérations de logements collectifs où les témoignages in situ des habitants vont nous permettre de comprendre comment des espaces pensés initialement comme bioclimatiques fonctionnent en réalité. Vous découvrirez ainsi de quelle manière chacun de ces habitant.e.s  ressent son confort thermique, été comme hiver, en fonction de leur appropriation de la serre ou loggia bioclimatique.

©Orlane Huitric

Le confort thermique : comment le définit-on ?

Il est essentiel de bien appréhender la notion de confort thermique pour évoquer des opérations à vocation bioclimatique comme le sont les deux dans lesquelles j’ai pu recueillir les témoignages d’habitants. En raison de facteurs sociaux, culturels, économiques ou encore plus intrinsèquement liés à l’âge ou le sexe par exemple, ce paramètre se définit de façon différente selon chaque individu.

De plus, le degré de confort thermique se lie de manière très étroite avec la part d’action, ou au contraire de passivité, au travers des divers dispositifs mis en œuvre par les concepteurs. Allons donc à la rencontre des usagers afin de comprendre les enjeux du confort thermique, à la fois le bien-être comme les inconforts pouvant être engendrés au fil des périodes de l’année. L’expérience des habitants de chacune des opérations répond-elle aux aspirations initiales des architectes ? Comment et par quels moyens vivent-ils ces différentes temporalités ?

Deux opérations bioclimatiques pour des principes thermiques similaires ?

Rappelons-nous le contexte des deux terrains ! Lors d’un précédent article Ghara que vous avez peut-être pu lire, nous avions pu recueillir les propos d’habitants des opérations expérimentales de logements Boréal à Nantes et Amplia à Lyon. Il était question de comparer de quelle manière les deux expérimentations bioclimatiques servaient ou desservaient l’usage afin de croiser les formes d’appropriation des habitants avec le discours des architectes et/ou de la maîtrise d’ouvrage.

Chacun des deux projets se retrouvent donc divers points, à commencer par la présence d’un espace bioclimatique : la serre horticole ou la loggia, mais aussi la taille des opérations, leur densité bâtie ou encore la question de la mixité sociale. Les deux réalisations se distinguent finalement par leurs modes de fonctionnement des principes bioclimatiques.

Boréal, une opération fondée sur l’économie de moyens

Située à Nantes dans un quartier de renouvellement urbain, la résidence Boréal a été réalisée par l’agence Tetrarc et commandée par la maîtrise d’ouvrage Habitat 44. Composé de 39 logements, dont la moitié est en accession sociale et l’autre en locatif, le bâtiment reprend la typologie des maisons en bande.

Ce premier projet met en avant un discours architectural fondé sur une économie de moyens, sans outillage technique trop important à prendre en mains par les habitants. Cette volonté de la part des architectes permet de privilégier davantage de surface aux espaces habités. Ainsi, dans chacune des typologies de logements, un prolongement extérieur se dessine sous forme de serre bioclimatique, venant créer un véritable espace supplémentaire, parfois en double hauteur, à vocation de régulateur thermique.

La résidence Boréal : habiter la serre horticole ©Orlane Huitric

Amplia, une opération qui repose sur l’appropriation de dispositifs techniques

L’immeuble Amplia ©Orlane Huitric

Amplia, la seconde opération de logements, se situe à Lyon. Composée d’une soixantaine de logements dont 15 en accession maîtrisée afin de favoriser une mixité sociale, l’opération a été conçue par l’agence d’architecture Lipsky+Rollet.

Nous y retrouvons là aussi le principe de prolongement de l’espace de vie vers l’extérieur à travers un système de loggias équipées de persiennes à lames de verre orientables. Celles-ci font office de régulateur thermique, et induisent ainsi des usages différents selon les temporalités.


[1] VMC : Ventilation Mécanique Contrôlée

Plus d’informations sur l’immeuble Amplia et la résidence Boréal dans notre dernier article « l’expérimentation bioclimatique dans l’habitat collectif ».

Confort thermique d’été : entre aspiration, économies, bien-être et inconforts

La disposition spatiale à ne pas négliger

Le confort d’été définit l’ensemble des paramètres qui permettent une situation optimale au sein du logement, évitant ainsi les phénomènes de surchauffe. Mais de quelle manière les choix d’éco-conception tendant vers l’économie de moyens pour l’opération Boréal ou vers la technologie environnementale concernant celle d’Amplia jouent-ils sur le degré de confort d’été ?

La disposition spatiale semble jouer en premier lieu un rôle primordial. Tandis que chacune des deux réalisations paraissent mettre en avant l’aspect traversant de leurs logements respectifs, cela ne s’avère pas être le cas pour l’intégralité de l’opération conçue par l’agence Tetrarc. En effet, l’échange avec certains usagers, habitant différentes typologies, a mis en évidence l’exception des logements situés au niveau des noyaux de circulation. Seule leur porte d’entrée donne finalement sur la façade Nord. Ce choix de conception semble alors mettre en porte-à-faux les habitants concernés par cette mono-orientation. De fait, le système de ventilation naturelle s’en retrouve contraint, ce qui engendre plus facilement des phénomènes de surchauffe (cf plan ci-dessous).

Les propos de l’architecte chef de projet de l’opération, Daniel Caud, soulignent cette problématique :  « On n’a peut-être pas été assez prévoyants sur le confort thermique d’été et sur la ventilation des serres. Par exemple, toutes les serres au niveau des T4 duplex, elles ont un tiers de la façade inférieure qui s’ouvre et une partie de la toiture donc il y a une ventilation qui se fait, qui permet de gérer un peu cet inconfort et puis le logement est traversant donc les gens arrivent à décharger un peu les calories du logement en ventilant de manière traversante. […} Par contre, pour les T2 qui se trouvent devant les cages d’escaliers, on ne peut pas ventiler de manière traversante, et surtout ils ont à chaque fois un retour de façade vitrée côté sud-ouest.»

Le dessin des logements illustre alors un confort disparate en fonction des typologies et de la situation des logements au sein de l’opération. Cela oblige donc certains résidents à expérimenter et mettre en place leurs propres techniques, «bricolages», pour optimiser leur bien-être thermique durant la période estivale : « Celui-là n’est pas traversant puisqu’il y a la cage d’escalier de l’autre côté, comme pour certains T2. […] Il m’est impossible de faire un véritable courant d’air. Alors, j’ai monté un système sur ma porte d’entrée pour qu’elle reste entrebâillée toute la nuit tout en étant verrouillée.»

A l’inverse, l’ensemble des logements de l’immeuble Amplia sont traversants et sont orientés Nord-Sud ou Est-Ouest. Certains d’entre eux, en angle, disposent même d’une triple orientation. Au sein de cette réalisation, le phénomène de surchauffe semble par ailleurs nettement moins présent que dans celle de Nantes, comme en témoignent la plupart des locataires : « L’été c’est génial, car malgré la canicule, comme il est traversant Est/Ouest, on aère aux heures les plus fraîches, c’est très bien ventilé. Dès qu’il commence à faire chaud, on ferme le tout et avec le triple vitrage et l’isolation existante, l’appartement conserve sa température. On n’a pas souffert de la chaleur.»

Redessin des deux plans de niveau courant de chacun des projet

Une économie de projet différente

Il est cependant important de préciser que le discours économique n’est pas le même sur le plan technologique pour les deux opérations bioclimatiques. La question budgétaire et la maîtrise d’ouvrage (bailleur social pour Boréal, promoteur privé pour Amplia) diffèrent en effet pour chacun des deux sites.

Ainsi, la volonté de l’agence nantaise d’offrir à ses usagers un mode d’habiter bioclimatique principalement axé sur un confort d’hiver s’explique aussi par l’économie de moyens du projet. En effet, une majorité des habitants interrogés témoignent d’un manque évident de protections solaires pour résister aux températures estivales. Si les architectes ne semblent pas avoir suffisamment priorisé les impacts solaires du système de la serre horticole, il peut paraître paradoxal de promouvoir le bioclimatique sans intégrer de système de protection solaire, même le plus simple soit-il. Plusieurs habitants, locataires ou propriétaires, plus ou moins sensibilisés à la question du bioclimatisme, nous font ainsi part de leur ressenti durant la période estivale.

« J’étais loin de me douter comment c’était au point de vue thermique. Ici, l’hiver ça va, mais alors l’été, c’est l’enfer! Voyez, ils n’ont mis aucune protection en façade. […] Vous savez combien il fait sous la serre en plein été ? Mon thermomètre ne marche plus tellement il fait chaud, mais je sais pas, plus de 60°C ! »

«C’est ça le problème par rapport à l’état de l’art du bioclimatisme : on ne fait pas une serre bioclimatique comme ça sans occultations quoi. Il y a juste le haut sur peut-être 1m70 avec des brise-soleil fixes, mais ce n’est pas du tout suffisant c’est juste esthétique.» Si les deux projets ne figurent pas témoigner d’un même confort thermique relatif à la saison estivale, l’amplitude d’ouverture du vitrage des loggias semble faire la différence. Dans le cas d’Amplia, le phénomène d’effet de serre est moindre l’été du fait de la gestion de la ventilation mais principalement grâce à la véritable modularité que propose le vitrage accordéon des panneaux s’associant à des lames de verre orientables (appelées les nacos) qu’il s’agit de manipuler en fonction des temporalités.

Coupe perspective de la loggia et ses impacts bioclimatiques sur le logement, opération Amplia ©Orlane Huitric

L’opération Boréal n’offre de fait pas ces possibilités d’ouvertures variables, l’espace tampon que forme la serre ne s’ouvrant que d’un tiers de la longueur du vitrage de chaque logement pour la majorité d’entre eux. Seuls les T4 du dernier niveau bénéficient d’une ouverture supplémentaire de la serre, située zénithalement, et semblent moins inconfortables à vivre durant la saison estivale.

Bonnes ou mauvaises appropriations des outils bioclimatiques ?

Pour chacune des opérations bioclimatiques, les dispositifs intégrés au sein des logements, ne font pas toujours l’unanimité. Les usages associés à ces divers outils bioclimatiques peuvent venir également expliquer certaines situations d’inconfort d’été.

Si pour l’opération lyonnaise, la majeure partie des habitants réagit de manière positive à la notion de confort d’été, certains ont un avis plus mitigé et trouvent contraignants l’usage de la loggia à réguler directement en fonction du climat extérieur.

« L’été, nous n’avons pas trop chaud. Le système double flux marche aussi l’été, avec un système de refroidissement de l’air, mais ce n’est pas une climatisation. Ce n’est pas refroidit avec une dépense d’énergie particulière. […] Il fait très chaud l’été ici, mais on ouvre tous les nacos pour ventiler.[…] On ouvre dès qu’il fait beau. Au printemps et en automne, c’est moitié moitié, ça dépend des jours.»

« En été, c’est trop chaud, c’est exposé à l’Ouest, même avec les stores. […] On ouvre vraiment quand il fait très chaud l’été, mais ce n’est pas facile à ouvrir, à manipuler, c’est lourd et c’est très fragile. On n’ouvre pas spontanément à tout bout de champ. Ou ouvre tout quand il fait très chaud, sinon on ouvre une partie. Et on ouvre toutes les lamelles pour faire un courant d’air. Mi-saison, il y a des lamelles ouvertes et fermées. Il y a une grande surface, c’est difficile à manipuler. »

Ces propos s’associent ainsi de pair avec les modes d’habiter de chacun. L’âge avancé de ce dernier témoignage, un couple de retraités, exprime-t-il une corrélation avec leur inconfort thermique malgré leur attrait pour un «immeuble nouvelle génération» ? Ou simplement leur discours révèle-t-il un manque d’intérêt pour la gestion de ce type d’espaces ? De fait, les propos des habitants divergent malgré une orientation similaire des logements. Ainsi, ne serait-il pas question d’un usage non approprié des ventelles de verre constituantes de ces espaces bioclimatiques ? La difficulté d’entretien, de manipulation, le terme de fragilité sont par ailleurs des notions qui reviennent fréquemment dans le discours habitant, comme l’appuient les propos suivants : « Les nacos, c’est un peu «too much», c’est très fragile à manipuler. Je pense qu’il n’y en avait pas besoin d’autant : c’est un système en accordéon et en plus de ça, ce sont des lamelles inclinables.»

« La loggia, c’est super. Par contre, je n’apprécie pas l’architecture avec les vitres, c’est en accordéon, l’entretien est difficile du fait du nombre de lames de verre. Puis, cet été, il a fait très chaud, même en fermant les stores. Je n’ouvre jamais les 4 panneaux, […] les portes sont lourdes.»

Est-ce un mauvais usage au quotidien de la seconde enveloppe dessinant cet espace tampon qui aboutit parfois à un inconfort thermique d’été ou bien le système serait-il trop «technique »  pour les usagers ?

D’après les témoignages recueillis, ce système de fonctionnement semble paraître complexe pour certains ménages et de fait, aller finalement à l’encontre des intentions initiales en freinant les « usages thermiques exemplaires » mis en œuvre.

Si l’on tient compte en parallèle des capacités restreintes d’ouverture des serres de l’opération Boréal, quel est finalement l’équilibre à trouver afin de permettre un mode d’habiter à la fois actif de la part des habitants et de moindre contrainte dans leurs usages quotidiens pour aboutir à un bien-être thermique optimal ?

Croquis de l’espace tampon, en fonction de l’ouverture de la serre, opération Boréal ©Orlane Huitric

Dans tous les cas, si l’expérimentation architecturale joue un rôle essentiel dans le ressenti thermique, parfois le manque de connaissance ou de sensibilisation des usagers va renforcer cet inconfort. Qu’il s’agisse d’un défaut d’anticipation ou d’une complexité technique perçue par l’habitant, un usage non approprié va finalement devenir proportionnel au degré de bien-être thermique.

Le chargé d’opération chez la maîtrise d’ouvrage de Boréal, Habitat 44, met par ailleurs en avant ces difficultés d’appropriation de la serre : « Je peux vous dire que les gens ont eu du mal à gérer cette serre, enfin cet espace mi-intérieur/mi-extérieur. […] Et c’est devenu problématique concernant la gestion des températures.»

Ainsi, les propos recueillis à Boréal mettent en avant une prise en main des gestes parfois désincarnée dans un premier temps mais avec des possibilités d’appropriation au fur et à mesure. L’expérience thermique des années passées durant la période estivale a effectivement permis pour certains de saisir sur le long terme les principes de gestion de cet espace tampon : « Sincèrement les premières années, on n’arrivait pas à l’utiliser comme il faut. Donc on crevait de chaud l’été, et là maintenant on a compris, parce que si l’on ouvre la grande baie et si l’on ouvre le toit, il y a de l’air, ça fait un courant d’air et c’est acceptable. »

Néanmoins, certains habitants provoquent l’effet inverse en ayant recours à les usages allant à contre-pratique du système initial de l’opération de logements : « S’il fait chaud dehors, il va tout de suite faire trop chaud dans la loggia. J’hésite à isoler et remplacer le simple vitrage par du double.»

Ce type d’initiatives n’est pas récurrent côté propriétaires mais démontre un processus volontaire de venir considérablement augmenter sa surface de vie en termes d’espaces habitables sans prise en compte de la dimension bioclimatique initiale. Est-ce du à une réelle incompréhension de cette typologie d’espaces ou à une simple volonté de gain spatial marquant une indifférence sur le fonctionnement thermique ?

Du discours de conception au confort thermique d’hiver

Le confort d’hiver définit quant à lui l’ensemble des paramètres qui permettent un équilibre entre l’habitat et son milieu durant la période froide. Il s’agit alors de favoriser les apports de chaleur gratuite et de diminuer les pertes thermiques, tout en permettant un renouvellement d’air suffisant, en convoquant soit la manipulation, la gestion de dispositifs dans l’espace soit des équipements plus techniques favorisant une régulation autogérée de la température.

Principe d’effet de serre

Si l’orientation du bâti Boréal est parfois facteur de désagréments pour ses habitants l’été, comme vous avez pu le lire dans la partie précédente, la simplicité du dispositif de la serre horticole semble faire ses preuves pour le confort d’hiver. L’espace tampon de chacun des logements jouit ainsi du principe d’effet de serre par temps ensoleillé, été comme hiver. Cela devient un véritable atout durant la période hivernale, comme le soulignent les propos de Daniel Caud, architecte chez Tetrarc : « En terme bioclimatique elles sont orientées sud-est, donc c’est la meilleure orientation pour ce type de façades, c’est-à-dire capter la chaleur du soleil le matin pour la redistribuer tout au long de la journée. Donc ça fonctionne très bien en hiver, on a des jours où il n’y a absolument pas de chauffage dans le bâtiment.»

La plupart des habitants interrogés sont positifs vis-à-vis des effets que procure ce prolongement extérieur, permettant à la fois pour chacun de diversifier les usages malgré la saison, faisant de cet espace tampon un véritable jardin d’hiver, et d’avoir un besoin moindre de chauffage au sein de son logement : « L’hiver, il suffit qu’il y ait un rayon de soleil, même s’il fait 0°C dehors, la loggia chauffe et passe de suite à 18 ou 19°C, et on peut en profiter. […] Il faut qu’il fasse vraiment froid pour allumer le chauffage. Parce que même s’il fait froid il y a le soleil, on ouvre les grandes fenêtres qui donnent sur la loggia et la chaleur de la loggia rentre dans le salon en fait. Ça fait effet de serre.»

Ainsi, les habitants de Boréal expriment une expérience thermique confortable durant la période hivernale. Néanmoins, le principe d’effet de serre n’est pas parfois pas évident à saisir pour tous et peut même amener des pratiques de chauffage paradoxales au dispositif bioclimatique proposé qu’est ici la serre horticole, comme en témoignent ces copropriétaires : « Les premières années, sincèrement on ne comprenait pas trop. Après on a compris le système. L’hiver, s’il y a le soleil on chauffe seulement le soir, et avant on chauffait quand même parce qu’on ne profitait pas de ce système.»

Le bailleur social de l’opération met également en avant un phénomène de surchauffe des logements, suite à l’adoption de gestes non conformes à la réflexion des pratiques d’habiter bioclimatiques. Certains locataires considèrent en effet l’espace de la serre comme un espace normalisé du logement : « L’hiver, ils s’en servaient comme extension du séjour, donc ils chauffaient comme si c’était isolé alors que c’est du simple vitrage.»

Coupe transversale sur la serre bioclimatique, opération Boréal ©Orlane Huitric

Des dispositifs bioclimatiques, oui mais pas pour tout le monde

Ce système d’effet de serre des loggias, se retrouve également au sein de la plupart des logements de l’opération Amplia. Cependant, les logements des RDC, R+6 et R+7 ne disposent pas du dispositif de la loggia comme les autres mais d’une simple terrasse, sans possibilité de manipuler ou fabriquer un espace tampon en fonction du climat. Tandis que certains manipulent à bon escient leur loggia en fonction des temporalités et que d’autres visualisent cet outil comme une contrainte constante, certains ne disposent ainsi pas des mêmes fonctionnalités pour réguler la thermique de leurs logements. Cette inégalité de dispositifs bioclimatiques souligne ainsi un manque à pallier concernant le confort d’hiver de ces derniers : « J’ai juste un balcon, surélevé par rapport à la rue. Il n’y a pas de nacos, par souci d’esthétique, car il n’y en a ni au rez-de-chaussée, ni au 6e et 7e pour un effet de symétrie, et aussi par sécurité, de peur que les gens ne les cassent, car les nacos sont à fleur du parapet.»

« L’inconvénient en hiver, c’est le froid : un huissier a fait en début de cette année des relevés de température dans différents appartements et il y faisait 15/16°. En effet, les derniers propriétaires de ce niveau sont mécontents, ils ont eu très froid.»

Une seconde enveloppe, des avantages aux inconvénients

A l’inverse, tous les habitants de l’opération lyonnaise qui jouissent des bénéfices d’un jardin d’hiver, semblent apprécier fortement cet espace et les impacts thermiques qui en découlent : « Au niveau thermique, c’est génial : quand il fait froid, on ferme et c’est super bien isolé avec le triple vitrage. […] C’est une valeur ajoutée, on mange dehors même en février, dès qu’il y a du soleil.»


Cependant, si le confort thermique d’hiver est une chose, la mise en œuvre des loggias influent sur d’autres paramètres quant à la qualité des espaces de vie des usagers. L’apport de lumière,  peut en effet être impacté par la présence de la loggia, comme en témoigne cette propriétaire qui souligne la perte de lumière occasionnée : « C’est super cool d’avoir un logement traversant, mais quand on est dans la partie centrale, on n’a pas tellement de lumière, on doit être à plus de 5m d’une fenêtre de part et d’autre donc ce n’est pas très lumineux en hiver. Donc je ne ferme pas entièrement la double peau, je la laisse ouverte même en hiver car ça ajoute encore 1m/1m50 avant de percevoir la lumière naturelle.»

Coupe transversale sur la serre bioclimatique, opération Amplia ©Orlane Huitric

Du low tech à l’outillage technique : de quoi s’emparent le mieux les habitants ?

Par ailleurs, la maîtrise d’ouvrage, Vinci Immobilier, insiste sur la qualité thermique de l’opération au travers de la labellisation obtenue en tant que bâtiment à énergie positive. Pourtant, la dimension technique de certains dispositifs de la résidence tel que le réseau de ventilation double-flux semble causer quelques désagréments et participer à un dysfonctionnement généralisé du confort d’hiver au sein du collectif d’habitations. D’une part, le principe de la double-flux ne semble pas forcément bien appréhendé par l’ensemble  des habitants, qui n’ont de toute évidence pas la même sensibilisation face à cette technologie.  Plusieurs propriétaires témoignent : « La ventilation double-flux ne marche pas correctement, la chaudière collective a été sous-dimensionnée. […] Les gens ont froid, la règlent à fond et du coup ça nous souffle dans les oreilles et ça fait du bruit. »

« Je fais partie du conseil syndical de copropriété et on est au courant d’un peu de tout : quand il a fait -5° cet hiver, il faisait 16° dans certains appartements. […] L’isolation a été bien faite, mais il était nécessaire, à cause du double flux, de faire un équilibrage avant que les gens occupent les appartements et ça n’a pas été fait. »

Ainsi, les intentions innovantes d’un point de vue environnemental ne se révéleraient pas toujours des atouts pour le bien-être habitant. Les propos ci-dessus illustrent que la «technologie environnementale» peut parfois jouer en défaveur de la réflexion initiale du bâtiment. Néanmoins, s’il semble défavorable pour la saison hivernale, cet outillage technique était largement bénéfique au confort d’été. Ne serait-ce pas en partie du à l’usage des habitants, leur mode d’appropriation n’étant sans doute pas sans liens dans le fonctionnement optimal du bâtiment ?

Si l’on devait comparer avec l’opération nantaise, le peu d’équipements techniques à appréhender par ses usagers ne vient-il pas jouer en faveur de son fonctionnement hivernal ? En effet, dans l’optique d’un projet à économies de moyens, il s’agit simplement d’une ventilation simple flux ne demandant pas aux individus de la gérer manuellement, à l’inverse de la double-flux d’Amplia.

Axonométrie d’un logement type ©agence Lipsky+Rollet

Si dans le cadre du principe «low tech», les choix de conception de l’agence Tetrarc ne jouent pas véritablement à son avantage concernant le confort thermique d’été, ils deviennent pourtant bénéfiques durant l’hiver. De plus, la notion de bien-être thermique dépend avant tout de plusieurs paramètres, sociologiques et physiologiques. Ainsi, la sensation de confort est différente en fonction de chacun et va induire tel ou tel mode d’habiter.

Des modes d’habiter actifs ou passifs ?

Devenir acteur de son logement pour optimiser son bien-être thermique ne peut être inné pour les habitants des deux ensembles de logements avec qui nous venons d’échanger.

Si plusieurs habitants, au sein des deux opérations confondues, s’avèrent être de véritables acteurs au sein du confort thermique de leur logement, ce sont généralement les propriétaires qui semblent s’y impliquer davantage. Leur discours démontrent des habitudes actives au sein de leur pratique d’habiter :

« Dès qu’il y a du soleil, ça chauffe tout de suite. C’est pour que je n’ai pas trop besoin de chauffer le logement. […] J’ai pris l’habitude de mettre un pull quand il faisait froid. […] Ma loggia, elle est ouverte en continu l’été. Là, elle est entrouverte mais en été, je laisse la baie grande ouverte. »

« Même s’il fait froid, on met plutôt un pull, des couvertures. Cet hiver, il faisait 19°C à une période, mais on n’a pas utilisé de chauffage électrique d’appoint. […] Il fait très chaud l’été ici, mais on ouvre tous les nacos pour ventiler. […] On ouvre dès qu’il fait beau. Là, on est au printemps, il a fait chaud, trop chaud si on laissait fermé. Au printemps et en automne, c’est moitié-moitié, ça dépend des jours.»« C’est exposé plein Sud : quand il fait chaud, j’ouvre, il faut savoir être réactif. […] Il faut savoir quand ouvrir ou fermer.»

Un T3 de l’opération Amplia qui témoigne de l’usage de la loggia pour réguler et ventiler ©Orlane Huitric

Si l’habitant actionne le ou les dispositifs bioclimatiques en lien avec le climat et son environnement, le couple usager-habitat fonctionnera de façon optimale. Cela demande de fait une mise en adéquation des gestes entre ressenti et outillage architectural mis à disposition dans le logement.

Mais, cette relation se traduit de manière plus complexe pour la plupart des locataires. Ceux-ci n’interprètent pas nécessairement ces outils et espaces de la même façon, étant donné qu’ils ne possèdent pas non plus les mêmes motivations résidentielles. Ces usages inadaptés illustrent parfois une faible sensibilisation au bioclimatisme les amenant ainsi à effectuer des gestes paradoxaux au bon fonctionnement énergétique de leur appartement : « On ouvre la porte d’entrée pour aérer. On ne sait pas se servir de la ventilation double flux, on l’arrête car ça fait du bruit. On la met en marche uniquement quand l’hiver arrive, car je pense que ça chauffe.»

Si certains habitants font de leur loggia un véritable débarras sans ainsi bénéficier des avantages thermiques, l’architecte de l’opération Boréal souligne d’autre part que d’autres considèrent leur serre comme un espace standardisé du logement et viennent donc le chauffer comme tout autre espace de vie, provoquant des situations de surchauffe : «  certains chauffent aussi la serre alors que c’est un espace qui n’est pas isolé, et qui surtout n’est pas étanche à l’air, clairement ils chauffent les petits oiseaux ! […] Il y avait une assistante maternelle qui laissait la serre tout le temps ouverte comme un espace intérieur, donc un espace de jeux pour les enfants qu’elle gardait. Donc forcément elle chauffait de la même manière que l’intérieur, elle ouvrait tout le temps les baies coulissantes de son séjour. Donc on a été appelé pour ce problème de disparité de chauffage.»

La serre bioclimatique d’un T4 à Boréal qui témoigne de l’appropriation habitante pour lutter contre la chaleur ©Orlane Huitric

Logement bioclimatique et sensibilisation : le mot de la fin

Pour conclure ces témoignages des divers profils d’habitants avec qui j’ai pu échangés sur leurs pratiques d’habiter au quotidien, il me semble important de rappeler le rôle essentiel de la sensibilisation. L’outil de transmission face aux principes bioclimatiques paraît indispensable dans le cadre de telles opérations de logements, car si certains habitants y sont prédisposés, la plupart manque tout simplement de connaissances sur le sujet. Ne serait-ce pas la conséquence du manque de sensibilisation de la part des acteurs ? Pourtant, cela pourrait par exemple prendre la forme d’ateliers pédagogiques sur l’usage optimal de la serre bioclimatique, des ateliers d’échange autour des jardins partagés, ou encore de supports graphiques à l’arrivée dans le logement expliquant les bons et mauvais gestes etc..

L’un des propriétaires de la résidence Boréal, particulièrement calé sur le bioclimatisme en général, insiste sur cette question de la sensibilisation mais également sur la notion de choix d’habiter qui va souvent différer entre locataires et propriétaires. La gestion d’un espace tampon comme celui de la serre ou de la loggia peut être un vrai choix de conscience pour un primo-accédant et jouer dans son choix résidentiel quand de l’autre côté, les dispositifs seront peut-être davantage subis par certains locataires.

« L’été, il faut le gérer ! Disons que ça demande beaucoup d’attention et de vigilance. Il faut systématiquement laisser ouvert la nuit et fermé dans la journée, aérer quand il n’y a pas de risques de pluie etc… Il faut vraiment s’en occuper. […] Pour que la serre bioclimatique soit utilisée à bon escient, ça demande vraiment de s’y intéresser. Les locataires, on ne peut pas leur demander ça, ils ne l’ont pas choisi. Ils se retrouvent avec un truc qu’ils ne maîtrisent pas finalement. »

Dans tous les cas, davantage d’actions pédagogiques contribueraient sans aucun doute pour la plupart des usagers à acquérir les bonnes pratiques d’habiter et peut-être à tendre vers des manières plus durables de se loger en collectif.


ORLANE HUITRIC

Architecte D.E