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Le pisé

Louisa Frangeul Actualité Ghara

Peu connu du grand public mais également des professionnels de la construction, le pisé est pourtant un procédé constructif ancestral qui offre de nombreux avantages face aux enjeux actuels de sobriété ! Tout comme le torchis, mélange de terre argileuse et de paille, la bauge, empilement de boules d’argile, et l’adobe, briques façonnées à la main, il fait partie des méthodes qui utilisent la terre crue et profitent des capacités de ce matériau que l’on trouve presque partout.

Le pisé et son histoire en France…

Selon les archéologues, la technique du pisé serait apparue au XIIIe siècle en France, dans la région Rhône-Alpes. Cependant, c’est véritablement à partir du XVIIIe que ce procédé se répandra, surtout dans le Sud, grâce aux travaux d’un homme : François Cointeraux. Ce Lyonnais né en 1740 a écrit de nombreux ouvrages sur le pisé et a également conçu une dizaine de bâtiments en terre crue. Utopiste dans l’âme, son objectif était de trouver une alternative à la construction en pierre afin de rendre l’édification accessible à tous, tant dans l’aspect économique que dans la mise en œuvre. Grâce à ses écrits, énormément de granges et de bâtiments agricoles ont été construits, mais également des édifices publics à l’instar d’écoles, de mairies ou d’églises. C’est par exemple le cas de Presbytère de Saint Bueil, en Isère, qui fait actuellement l’objet d’une rénovation. Au milieu du Xxe siècle, à cause des conflits mondiaux et de l’avènement du béton et de la maçonnerie, le savoir-faire du pisé disparaît malheureusement presque entièrement.

Ce n’est que très récemment, notamment face à l’urgence climatique, qu’un regain d’intérêt pour ce procédé constructif a lieu. Des innovations techniques aident à cet élan d’utilisation du pisé, avec l’invention de machines qui permettent un compactage mécanique de la terre crue et ainsi de diminuer le temps et l’énergie humaine utilisés.

Ainsi, si le pisé est utilisé en France depuis plusieurs siècles, c’est toute une histoire et une connaissance de cette technique qui sont à réinventer, afin de changer l’imaginaire collectif parfois négatif qui entoure la construction
en terre crue.

Fonctionnement de la construction en pisé

Le fonctionnement du procédé du pisé est très simple à comprendre mais aussi à réaliser ! Pour construire un mur, il faut dans un premier temps sélectionner la terre qui sera utilisée. Ce sont, en règle générale, des terres locales situées sous la couche végétale, non transformées, qui seront choisies.

Selon François Cointeraux, l’idéal est d’avoir des granulats de grosseur variée, avec entre 40 et 50% de sable, 0 à 20% de graviers, 20 à 35% de limon et entre 15 à 25% d’argile. Il faut également qu’elle soit faiblement argileuse
afin de limiter les fissures et être exempte de fibres.

Une fois la terre idéale sélectionnée, un soubassement doit être réalisé. Il peut être en pierre, en galets ou encore en béton, et va permettre d’éviter que l’humidité du sol remonte à l’intérieur du mur en terre crue par capillarité.

Ensuite, on déverse la terre crue entre les banches. Ces dernières sont traditionnellement en bois et font entre 2 et 3m de long pour 60cm de hauteur. Comme pour le béton, le choix des banches est important pour définir l’aspect esthétique final qu’aura le pisé. Il faut ensuite compacter la terre, soit manuellement avec un pisoir, soit avec un outil mécanique.
Le volume de la terre doit réduire de moitié, cette étape permettra de conférer une dureté et une solidité importante une fois que le
mur aura séché. Les banches sont ensuite enlevées et réinstallées afin de
recommencer dans le prolongement et ainsi construire un autre bloc de mur. En élévation, les joints sont décalés et en biais afin d’obtenir une meilleure tenue. Une fois sec, le mur est aussi dur que de la pierre et porteur, et on peut si on le souhaite le recouvrir d’un enduit à la chaux. C’est
un choix purement esthétique.

En terme de conception, il faut également réfléchir autrement la toiture afin d’éviter le ruissellement de l’eau de pluie sur les murs. Les projets contemporains possèdent donc souvent une grande avancée de toit.

Les avantages du pisé

Mais alors quels sont les avantages de ce procédé méconnu ? Dans un premier temps, le pisé est résistant dans le temps, la terre légèrement argileuse permettant d’éviter les fissures dans les murs. Bien entretenu, un édifice peut donc sans problème tenir debout plus de 100 ans ! C’est plus que pour un bâtiment en béton. Aussi, la terre crue a la particularité d’emmagasiner la chaleur la journée et de la restituer la nuit : c’est l’inertie thermique. Cette dernière est une qualité idéale de l’architecture bioclimatique puisque cela permet de réguler naturellement la température intérieure. L’humidité est également régulée grâce au pisé, qui absorbe le trop plein de vapeur d’eau et la restitue lorsque l’air devient sec. En effet, en hiver, la vapeur va lentement traverser le mur pour sortir car, comme on le sait, le chaud se déplace toujours vers le froid. Cela va donc chasser l’humidité indésirable mais également réchauffer les murs grâce à la chaleur dégagée par le mécanisme de condensation. Au contraire, en été, le soleil va chauffer l’extérieur des
murs et faire s’évaporer l’humidité vers l’intérieur, provoquant aussi un peu de fraîcheur.
Cela offre donc une qualité de vie optimale et une économie énergétique importante !

C’est ainsi un matériau qui permet de limiter l’impact écologique des habitants pendant l’occupation du bâtiment. Mais au delà de ça, l’énergie grise dépensée lors de la construction est également faible. En effet, on utilise la plupart du temps de la terre locale et non transformée, il y a donc peu de déplacements et d’énergie consommée pour acheminer la terre crue au site du chantier et lors de la construction. Cette facilité d’accès
à la matière première permet aussi de faire du pisé un procédé plébiscité dans les projets d’auto-construction ! De plus, la terre crue est aussi 100% recyclable.
Enfin, un des avantages du pisé est également son intérêt esthétique. Peu commun, il peut offrir un tas de possibilités créatives. De nombreux finis peuvent être réfléchis en fonction des agrégats choisis, et des teintes aux nuances subtiles sont également envisageables.

Les freins à son utilisation

Mais alors si le pisé est si parfait, pourquoi ne l’utilise-t-on pas davantage ?

La réponse à cette question se trouve surtout dans la méconnaissance de la technique, tant chez les particuliers que chez les professionnels. L’imaginaire autour de la terre crue n’est généralement pas très positif et ne fait pas rêver les gens à qui on a vendu le béton comme étant le matériau de la modernité et du statut social élevé. Même chez les clients qui s’intéressent pourtant à l’éco-construction et à l’architecture bioclimatique, la terre crue peut faire peur.

Proposer un projet en pisé à un client nécessite donc de beaucoup le rassurer. De plus, la disparation de cette technique a également fait disparaître les personnes compétentes dans ce domaine. Aujourd’hui, les spécialistes du pisé sont très rares, ce qui rend la réalisation du projet compliquée. Il y a donc une véritable nécessité de formation pour rendre cette technique accessible. De plus, le faible nombre de projets récents en pisé a aussi provoqué un cruel manque de connaissances techniques et légales. Vouloir travailler avec ce procédé nécessite de réaliser de longues études de faisabilité, ce qui peut être un frein important lorsque le client a une contrainte temporelle et financière.

L’Orangerie à Lyon, un exemple d’architecture contemporaine française en pisé

A cause notamment des freins cités précédemment, rares sont les projets en pisé en France aujourd’hui, surtout lorsqu’il s’agit de commandes privées. Cependant, il y a tout de même un regain d’intérêt pour la terre crue, porté notamment par des associations comme CRAterre ou AsTerre, et des projets ambitieux sont réalisés depuis une dizaine d’années.

C’est le cas de l’Orangerie de Lyon, bâtiment livré en 2020 et imaginé par l’architecte Clément Vergély et l’agence Diener et Diener. C’est un édifice à deux étages, qui abrite des bureaux. Avec ses cinq arches porteuses en terre crue qui dessinent la façade, c’est un projet ambitieux, où le pisé se fait plus haut et plus grand que dans les autres
exemples contemporains française. De plus, les éléments en terre crue, mélangés à une structure bois, s’éloignent de ce que l’on connaît d’eux en adoptant une géométrie arquée, prouesse technique qui a nécessité de nombreuses études des bureaux techniques. Ce projet mêle ainsi l’innovation avec la tradition, puisque la région Rhône-Alpes est le berceau français du pisé, et que les arches font référence à l’architecture lyonnaise présente notamment au parc de la tête d’or. La forme générale très simple, rectangulaire, surmontée d’une toiture terrasse végétalisée, permet au pisé d’être l’attrait principal de ce bâtiment. La terre crue est travaillée dans une teinte dégradée, avec une finition aux
agrégats apparents, ce qui offre un caractère brut à cet édifice. Le pisé n’est pas isolé afin de profiter au maximum de l’inertie thermique et de la régulation hygrométrique. Ce projet est ainsi un parfait exemple de ce que l’architecture contemporaine en pisé peut donner, tout en montrant également qu’il est malheureusement encore compliqué d’en faire à cause de la nécessité d’études techniques laborieuses.

Sources

https://www.asterre.org/media/pages/la-terre-crue/matiere-et-architecture/comment-construire-en-terre/le-pise/20e22c97ac-1662375871/gbp_pise_2018_web.pdf

https://topophile.net/savoir/l-art-du-pise-ou-la-massivation-de-la-terre/utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=lt10


https://issuu.com/calliope.trouillet/docs/trouillet_calliope/s/13489235

LEA DUMAS

Etudiante en architecture

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