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Crise énergétique : l’habitat passif, la solution ?

Louisa Frangeul Actualité Ghara

À l’approche de l’hiver et face à la crise énergétique et environnementale, les politiques tentent de mettre en place des solutions limitant la consommation des bâtiments. En France, la construction représente 44 % de l’énergie consommée, loin devant les transports (31,3 %) ou l’industrie (19 %). Chaque année, le secteur du BTP émet plus de 123 millions de tonnes de CO2, ce qui en fait l’un des domaines clé de la transition énergétique. Conscients de ces enjeux, les acteurs de la construction tentent de concevoir des logements moins énergivores et plus autonomes. Dans cette mouvance, certains se tournent vers le modèle des habitats passifs, ou « PassivHaus », un concept né dans les années quatre-vingt en Allemagne. Créé à l’origine par les professeurs Bo Adamson de l’université de Lund (Suède) et Wolfgang Feist de l’IWU (Institut allemand pour le logement et l’environnement) ce mode de construction low-tech s’est répandu et semble adapté aux problématiques contemporaines.

Quel intérêt de concevoir des logements passifs ? Quelles en sont les caractéristiques et les limites ?

L’habitat passif : du concept au développement

Le premier bâtiment passif a vu le jour en 1990 à Darmstadt en Allemagne, suite aux recherches des professeurs Bo Adamson et Wolfgang Feist. Par la suite, le Passivhaus-Institut fut créé dans afin d’en diffuser le concept et de contrôler les critères de certification. Progressivement, des maisons passives se sont construites en Allemagne, en Autriche, puis dans le reste de l’Europe et enfin de façon globale, ce modèle étant en mesure de répondre à tous les climats.

La maison passive en 5 principes

Les maisons passives reposent sur les enseignements du bioclimatisme en architecture. Cette notion est appréhendée tant d’un point de vue externe, liés à l’environnement proche de la maison (orientation, ombre, topographie…), qu’interne qui traite de la disposition des pièces dans l’habitat. En Europe occidentale, le salon a ainsi tendance à être placé au Sud, la cuisine et les pièces humides davantage au Nord.

La seconde caractéristique d’une maison passive est la performance de son enveloppe, qui intègre au moins vingt centimètres d’isolant combiné à des fenêtres triple vitrage. Afin de garantir l’absence de ponts thermiques, la qualité de celle-ci est testée par tests d’étanchéité à l’air, les fuites d’air ne devant pas excéder 0,6 CAH sous une pression de 50 Pa.

Du fait de cette grande imperméabilité, les maisons passives disposent d’un système de ventilation à double flux. Fonctionnant en continu, il permet de ventiler et d’équilibrer la température de l’air entrant dans le logement. Ce système mécanique peut par ailleurs s’accompagner de la mise en place d’un puit canadien.

La réalisation d’une maison passive est aujourd’hui ouvert à toutes les méthodes constructives : béton, pierre, bois, brique… On observe cependant que les matériaux biosourcés sont souvent favorisés. Le choix d’une structure bois est avantageux car il permet d’accueillir l’isolant, rendant plus aisée l’étanchéité de l’enveloppe.

Enfin, les maisons passives développent de grandes ouvertures en triple vitrage, diffusant les apports naturels de chaleur et de lumière. Sous nos latitudes, celles-ci sont favorisées au Sud/Sud-Ouest et moins nombreuses au Nord. Afin d’éviter la surchauffe en été, un système de protection solaire adapté (casquette, volets à lames orientables…) est aussi à prévoir sur les façades méridionales.

Avantages et inconvénients

Grâce à ces dispositifs, les constructions passives présentent une faible consommation énergétique. La qualité de l’enveloppe confère une grande stabilité thermique dans tout le volume de la maison. Certains vont même jusqu’à évoquer l’idée d’extension de la « surface confortable » : l’absence de ponts thermiques et la qualité du vitrage permettant de s’installer confortablement à quelques centimètres de la fenêtre. Cette qualité d’ouvrage nécessite de la rigueur tant dans le dessin des détails techniques et que de l’attention à chaque étape du chantier. Ce souci du détail confère aux maisons passives une plus grande longévité que les maisons standards. Il n’en demeure pas moins que ce type de logement représente un investissement, en moyenne 10 % plus cher. Leur diffusion permet toutefois baisser leur coût au fil des ans et de les rendre plus abordables

Certification aux normes passives

Pro-passif et Passivhaus, assurent la certification des bâtiments aux normes passives. L’examen de différents critères (performance énergétique, isolant, compacité…) répond à une formule mise en place par l’organisme allemand qui permet de comparer les caractéristiques des projets.

La première évaluation se fait à l’issue de la phase de conception (dossier « PRO »), et sur la base du dossier complet de conception. Le labellisateur délivre ensuite un rapport intermédiaire qui situe les caractéristiques du bâtiment par rapport aux critères passifs. Il est alors possible d’en optimiser les performances.

La seconde se fait à l’issue de la réalisation, une fois le bâtiment achevé. L’organisme se base alors sur le dossier de labellisation final (dossier « EXE »). À la fin de l’étude, le maître d’ouvrage se voit remettre un certificat, un livret explicatif, ainsi qu’une plaque de labellisation qui pourra être apposée à l’entrée du bâtiment. Mais cette labellisation a un prix, il faut compter entre 10 et 17 € HT du m² afin de l’obtenir.

Réalisation aux normes passives

La réhabilitation aux normes passives est aussi une piste vers la conception de logements à plus faible impact environnemental. En effet, quelle que soit la méthode constructive choisie, le fait de bâtir demeure un acte violent. Il s’agit de façonner le paysage, d’altérer l’environnement, un acte  aux conséquences irréversibles. Sous cet angle, l’urbanisation massive qu’a connue la France au cours de ces soixante-dix dernières années peut être questionnée. À ce rythme, dans quelques décennies, le territoire ne sera plus qu’une continuité urbaine homogène. Pour répondre à cet impératif, il s’agirait donc de limiter l’extension de villes neuves en restaurant l’existant aux normes passives. Bien que technique dans le diagnostique et la mise en œuvre, la rénovation passive permet d’atteindre des performances thermiques exceptionnelles.

Schéma de fonctionnement d’une maison passive

Quelques exemples de réalisations

  • Réno Passiv, Karawitz, 2011, Certification Passivhaus

Le projet initial de réhabilitation de ce pavillon visait la passivité ; il finit par aller plus loin en lui offrant une nouvelle architecture, presque une seconde vie. À Magny-les-Hameaux, dans les Yvelines, cette maison s’inscrivait sans faire de vague dans une rue composée d’habitations toute identiques, des pavillons en enduit clair et aux toitures à deux pans en tuiles rouges. Une différenciation plus nette entre le nord et le sud reconnecte la maison à son environnement : côté rue, la greffe d’un auvent sur la façade principale abrite à présent l’entrée, côté jardin une généreuse ouverture de la toiture offre aux chambres une vue panoramique sur le terrain. Le vocabulaire habituel de l’habitat pavillonnaire disparaît au profit d’un style contemporain assumé. La toiture abandonne également ses tuiles pour du zinc, et les deux chiens-assis sont épurés. L’organisation intérieure reste telle quelle hormis une légère redistribution des quatre chambres à l’étage. Dans une approche low-tech, le pavillon se couvre d’une nouvelle isolation extérieure qui, couplée à un fonctionnement bioclimatique, le rend thermiquement très performant. Expérience pilote sur le sujet, la maison obtient en 2012 la première certification « Passivhaus » de France pour la rénovation d’un pavillon individuel. Un exemple intéressant dans la revalorisation du modèle du pavillon de banlieue.

  • Passive Housse in Arteaga, Lopez Rivera, 2021, Certification Passivhaus

Située à la périphérie de Gautegiz Arteaga, la maison prend place au centre d’un jardin planté de vignes. Les normes Passivhaus ont été suivies dans la conception et la construction de la maison, en isolant largement l’enveloppe extérieure. Des systèmes de façades très hermétiques ont été utilisées avec un triple vitrage à faible émissivité et une absence totale de ponts thermiques. Des protections solaires extérieures constituées de lames horizontales enroulables en pin de Soria ont aussi été pensées dans les zones où l’exposition solaire est la plus intense en été. L’extraction et l’apport d’air de la maison sont constants et contrôlés grâce à un système de ventilation mécanique à double flux. L’ensemble de ces dispositifs permet de réduire de 75 % la consommation de chauffage et de refroidissement par rapport à une maison standard. Celle-ci a obtenu la classe énergétique A avec une consommation d’énergie de 22,43 kWh /m2 par an et des émissions de 3,83 kg de CO2 /m2 par an. Du point de vue de l’espace, les pièces communes sont complétées par de plus petits espaces intimes, offrant des bulles de tranquillité sans séparer du reste de la maison. La construction générale en bois accentue ce sentiment d’abri. Une grande rigueur a été portée aux détails particulièrement soignés.

Vers des bâtiments collectifs passifs

Le principe de passivité est ainsi souvent évoqué dans la conception d’habitats individuels, mais qu’en est-il des collectifs ?

Il est aujourd’hui tout à fait possible de construire des logements collectifs passifs. Là encore, l’enveloppe se doit d’être particulièrement bien étudiée. Leur compacité permet d’atteindre des performances énergétiques d’autant plus intéressantes. Bien qu’aucun système constructif ne soit nécessaire à la certification passive, l’utilisation de matériaux renouvelables et la préfabrication permettent de réduire le temps de chantier et de construire de façon plus durable. La commande d’immeubles collectifs de type passif fait son chemin mais reste pour l’heure anecdotique.

Comment aller plus loin vers la conception de logements passifs ?

Bien que a construction de logements passifs soit extrêmement performante, la possibilité de construire à l’aide de matériaux polluants peut interroger. Afin de s’inscrire dans une démarche plus vertueuse, peut-être serait-il temps d’ajouter au cahier des charges l’utilisation de matériaux bio-sourcés et locaux ? L’analyse du cycle de vie du bâtiment permettrait, en outre, de connaître l’empreinte complète du projet et plus seulement sa consommation énergétique. Celle-ci garantirait la transparence du processus de construction, de l’extraction des matériaux en passant par son exploitation jusqu’à son potentiel démantèlement. Cette approche holistique est à mettre en valeur dans la conception des logements de demain.

Sources

https://blog.synthesia.com/fr/passivhaus-des-logements-sains-et-durables

https://www.ecohabitation.com/guides/3063/tout-sur-la-maison-passive-et-les-criteres-passive-house-ou-passivhaus/

https://population.un.org/wup/publications/Files/WUP2018-Report.pdf

https://www.archdaily.com/989370/house-in-massis-del-garraf-slow-studio?ad_source=search&ad_medium=projects_tab

https://www.karawitz.com/projects/renopassive/?group=52

https://www.archdaily.com/977375/passive-house-in-arteaga-lopez-rivera

L’origine de l’architecture se confondrait avec celle du tressage végétal. Les architectures premières, découvertes en Océanie ou sur le continent africain illustrent en tout cas cette vision. Celle-ci fut défendue par Gottfried Semper (1803-1879) dans son ouvrage Du style et de l'architecture : Ecrits, 1834-1869, architecte allemand qui s’intéressa aux premières formes d’habiter ainsi qu’à l’ethnographie. En effet, ce dernier attribue l’origine du tressage au procédé employé pour enclore les premières habitations.

RAPHAËLLE DE PRIESTER

Etudiante en architecture

Mes remerciements à Milena Karanesheva de l’agence Karawitz qui m’a éclairée dans la rédaction de cet article.