construire terre

Construire en terre selon Anna Heringer

Louisa Frangeul Actualité Ghara

Il y a plusieurs années Anna Heringer est venue faire une conférence dans mon école. C’était la première
fois, que j’entendais quelqu’un parler de construction de cette manière. D’ailleurs, l’amphithéâtre tout
entier n’avait jamais été aussi silencieux. Elle avait captivé l’attention en nous racontant à quel point nous,
les architectes, nous manquions de créativité, de savoir-faire et de technicité pour utiliser le trésor qui se
trouve sous nos pieds : la terre.
Cette architecte allemande qui est à l’origine d’un certain nombre de bâtiments dit durables, a notamment
conçue le fameux centre Anandaloy¹ à Radrapur, au Bangladesh. Peut importe où elle se trouve dans le 1
monde, ses projets s’installent dans leurs environnements. Son approche l’amène à s’imprégner des
ressources locales, tel que les matériaux, la culture, les habitants et à composer avec. Elle dévoile sa
pensée dans plusieurs interviews disponibles sur le net². J’ai tout écouté et il fallait absolument que pour 2
mon premier article sur le blog de Ghara, je vous explique la vision d’Anna Heringer sur la construction en
terre.

Anandaloy by Studio Anna Heringer
Radrapur, Dinajpur, Bangladesh

¹ Anandaloy : Centre for People with disabilities + Dipdii Textiles studio. Architecture Anna Heringer. site consulté le 19 septembre 2022. https:// www.anna-heringer.com/projects/anandaloy/


² Vidéos disponible sur Youtube :

Construire en terre,
Anandaloy, à Radrapur, au Bangladesh.

Arriver quelque part, analyser, découvrir et comprendre : quelles sont les ressources locales et
disponibles qui permettront de construire durablement ? Pour la jeune architecte il n’y a aucun doute, la
stratégie est d’apprécier ce qui est à notre portée en prenant garde de ne pas dépendre de conditions
externes. Selon elle, notre sensibilité pour apercevoir ces richesses naturelles et notre créativité pour les
utiliser, suffisent. Le centre de Radrapur est édifiée avec de la boue, de la terre, de l’argile et des
bambous, par les mains et le savoir-faire des artisans qui habitent le petit village.

C’est cette boue qui maintient l’édifice tout entier. Les murs porteurs en terre prennent racine dans le sol
et ancrent la grande structure en bambou qui s’élance pour faire entrer la lumière. Les qualités des
espaces sont impressionnantes. D’abord, il y a cette immense rampe qui entoure l’ensemble du bâtiment
et qui permet un accès pour tous. Les deux niveaux proposent une variété d’espace, plus ou moins
lumineux, aux formes plus ou moins vernaculaires, plus ou moins ouvertes et couvertes avec différentes
sensations d’intimité. La plus grande pièce invite à une ballade dans des sortes de cavités reliées, parfaite
pour s’assoir, s’allonger, lire, rêver ou méditer. À méditer !

Anandaloy by Studio Anna Heringer
Radrapur, Dinajpur, Bangladesh

Construire en terre a de multiples avantages, la matière est réparable et ré-employable. Quand les murs
du Centre ont vieilli et ont présenté les marques du temps, avec par exemple des angles arrondis et polis,
il a été très simple de lui faire retrouver sa forme initiale, apprend l’architecte. Il faut prendre les morceaux
de murs détériorés, les humidifier et les remodeler sur leurs emplacements originaux. Quand une
architecture est faite en terre, il est possible de la rendre au sol. Modulable et complètement naturel, le
matériau peut se trouver aujourd’hui être un mur, et peut demain (re)devenir un jardin. Dans ce processus,
il n’y a aucune perte de quantité. Aucun autre matériau de construction, à notre connaissance, a ces
propriétés. Dans le contexte actuel, où notre impact sur l’environnement est mesuré, la terre qui a cette
capacité extraordinaire, prouve la nécessité de s’y intéresser ! Le centre d’Anandaloy pourrait, s’il en été
décidé, disparaitre et retourner d’où il vient.
Cette architecture édifiée grâce aux ressources de son environnement a réuni autour d’elle, les habitants
de Radrapur. Après les artisans, ce sont les enfants du village qui ont voulu contribué à la construction. Ils
ont inscrit leur prénom sur les portes du bâtiment. Cette petite fille ou ce petit garçon ayant à sa manière,
participé au chantier, a ressenti la légitimité de le arpenter. Ce phénomène ne c’est pas seulement produit
pour les plus petits. En effet, la mise-en-oeuvre du Centre a renforcé l’esprit de communauté : le lieu a fait
les liens. Les habitants se font davantage confiance, en eux et en leurs capacités. Et pour la terre qui avait
la réputation d’être, laide, dégoutante, môle et fragile, son image a été renouvelé. Aujourd’hui les murs
solides de l’architecture résistent au temps et aux saisons de moussons.

Anandaloy by Studio Anna Heringer
Radrapur, Dinajpur, Bangladesh

Exemples d’architectures de constructions en terre

D’après CRAterre3 , la terre crue utilisée depuis onze millénaires, reste aujourd’hui le matériau de 3
construction le plus répandu à travers le monde. Un tiers de l’humanité vit dans un habitat en terre, soit
plus de deux milliards de personnes dans 150 pays. Pourtant ce matériau de construction traditionnel est
complètement méprisé. Il est délaissé par le monde de la construction contemporaine, au profit du béton
et de l’acier, alors que ce matériau supposé inintéressant, à tord, possède un réel potentiel et pourrait
même répondre au problématiques écologiques actuelles. Savez-vous ce qu’il est possible de faire avec ?

3 CRAterre. Architecture de terre dans le monde. https://craterre.org

Le Studio Anna Heringer a conçu, avec les mêmes matériaux de prédilections, la terre et le bambou, dans
le village de Baoxi en Chine trois auberges de jeunesse4 . Ce projet aux lignes contemporaines, prouve la
qualité structurelle et la beauté de l’alliance du bambou et de la terre. Les trois volumes qui se dessinent
dans le paysage s’intègrent avec harmonie, délicatesse et poésie. La forme extérieure flottante réalisée en
bambou tissée, enveloppe une forme intérieure solide et rigide en pierre et en terre damée. En
composant à cette échelle avec les richesses locales, les trois compositions ont poussé les savoirs-faire de
la communauté à un autre niveau.

4 Three Hostels in Baoxi, a village in China. Architecture Anna Heringer

Hostel for Langquan by Studio Anna Heringer
International Bamboo Biennale
Baoxi, China

En Europe aussi, le Studio Anna Heringer a démontré la pertinence d’utiliser la terre comme matière pour
la construction. Dans les cinq espaces de relaxation des bureaux d’Omicron Electronics5 en Autriche se
trouve un mur particulier. Plus qu’un élément structurel ou artistique, ces murs en terre contribuent à une
meilleure qualité de l’air. Ils sont élaborés de manière à protéger les parties techniques du bâtiment et
régulent naturellement l’humidité. Le matériau « low-tech » révèle une performance « high-tech ».
La jeune architecte est ambitieuse et se bat pour faire connaitre le potentiel de la terre. Voulez-vous
connaitre son rêve ? Elle aimerait construire un gratte-ciel à Manhattan, mais pas n’importe comment, en
terre ! Et pourquoi pas ? Après tout, l’ancienne ville de Shibam au Yémen, inscrite à l’UNESCO6 , n’est
constituée que de tours de briques de terre crue. Elle nous invite à réfléchir : « ce qui a été possible il y a
bien longtemps et aussi possible aujourd’hui et nous pouvons appliquer tous nos savoirs techniques à ces
matériaux dit rudimentaires. »

5 Omicron relaxing spaces. Design: Studio Anna Heringer and Martin Rauch. Architecture Anna Heringer.
6 Ancienne ville de Shibam et son mur d’enceinte. UNESCO Convention du patrimoine mondiale.

Mon avis sur le sujet

Comme elle, je suis convaincue que nos espaces seraient plus sain et plus humain, si nous utilisions des
matières plus naturelles pour nos constructions. L’architecture de nos villes représente notre structure
sociale. Elle n’est que le reflet de notre société et de nos manières de vivre ensemble. Sommes-nous dans
l’incapacité de réinventer une architecture durable-contemporaine ? Pensez-vous que les architectes
d’aujourd’hui manquent de savoir-faire, d’ambition et, ou de créativité ? C’est, je crois, la question que
venait nous poser Anna Heringer en se rendant dans les écoles d’architecture. Et si malheureusement, tous
ces établissements n’éduquent pas à l’éco-construction des structures comme Ghara existe. L’entreprise
parisienne regroupe des personnes engagées et propose des formations qui transmettent les savoirs
permettant d’édifier en préservant notre environnement.

LEA FALLET

Architecte D.E