pratique des collectifs d architecte

Construction Écologique, Réemploi et Construction Participative :

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Pratiques des Collectifs d’Architectes

Dans un monde confronté à des défis environnementaux de plus en plus urgents, les collectifs d’architectes émergent comme des forces motrices du changement dans le domaine de la construction et de la conception des espaces. Au cœur de ces enjeux, la durabilité, le réemploi de matériaux et la co-participation s’affirment comme des leviers essentiels pour façonner un avenir plus responsable et adapté aux besoins actuels.

Cet article vous invite à explorer les initiatives novatrices de quelques collectifs d’architectes en France. À travers des exemples concrets et des projets emblématiques, nous plongerons dans l’univers dynamique de la construction écologique, du réemploi créatif et de la construction participative.

Qui sont ces “collectifs” d’architectes ?

Hybridation des savoirs

La première question que nous nous posons sûrement, en entendant parler de collectifs, pour la première fois, c’est : quelles différences avec une agence « classique » d’architectes ? Terme en vogue ? Image responsable ? Préoccupation sincère pour la collectivité ? Volonté d’agir différemment ? Réponse d’urgence aux enjeux urbains et climatiques ?

En France, le terme collectif naît notamment de l’hybridation des savoirs. Parmi les collectifs que nous rencontrerons ci-après, la majorité d’entre eux convoquent plusieurs savoir-faire et professions. La notion de collectif émerge donc de cette fusion, propice au développement d’une multi-expertise. L’architecte n’est plus seul, mais s’entoure de compétences complémentaires : designer, scénographe, paysagiste, urbanisme…

Construction écologique et durabilité

Aujourd’hui, les collectifs d’architectes jouent un rôle primordial dans la promotion de la construction écologique. En privilégiant l’utilisation de matériaux durables, recyclés, ou encore d’origine naturelle, ils contribuent activement à l’expansion des connaissances dans le domaine de l’éco-construction. De plus, la mise en place de systèmes énergétiques naturels et efficaces au sein de nouvelles constructions permet l’avancée de la réflexion en matière d’énergie durable : énergie solaire, éolienne, biogaz ou biomasse… Enfin, se pencher sur l’éco-construction, c’est aussi redécouvrir les principes de ventilation naturelle, l’inertie naturelle des matériaux, et d’une manière plus large, les caractéristiques fondamentales des matériaux eux-mêmes…

Inclusion et Participation

Les collectifs d’architectes se distinguent également par leur engagement en faveur de l’inclusion et à travers des démarches participatives singulières. Ils reconnaissent que les habitants, les usagers et les communautés locales ont un rôle essentiel à jouer dans la création d’espaces qui répondent véritablement à leurs besoins. Cette approche collaborative se manifeste souvent à travers des ateliers de co-conception, des consultations ouvertes avec les résidents, ou encore lors de collaborations avec des artistes locaux, intégrant alors l’identité culturelle du lieu dans les projets.

Cette démarche participative ne se limite pas seulement à la réalisation des projets, mais s’étend également à la gestion et à l’entretien à long terme des espaces. Elle témoigne de l’importance que les collectifs accordent à l’inclusion sociale et à l’engagement des communautés dans la co-construction des lieux de vie.

Démocratiser et Transmettre l’architecture

Aussi, les collectifs usent et recèlent bien souvent de tout un langage graphique pour convoquer les sens des usagers. Loin des plans “normés” et des documents techniques, on retrouve toute une palette de documents pour transmettre, partager, communiquer autour de l’architecture avec le public. L’architecture se démocratise, elle devient ludique à observer, à imaginer, elle est interactive. En somme, elle est rendue accessible au plus grand nombre et surtout, elle donne la possibilité à chacun.e de s’exprimer. Pour s’en rendre compte, il suffit de se balader sur quelques pages internet de collectifs, par exemple celle du collectif JMRé : https://collectifjmre.com/

Petit tour de projets stimulants en France

Je vous propose de découvrir des projets, installations ou rénovation que j’ai moi-même visité, d’autres sur lesquels j’ai eu la chance d’échanger avec certains membres de ces collectifs, d’autres encore qui, tout simplement, attirent mon œil curieux d’architecte…

« La ReCyclerie » par YA+K

En périphérie de Paris, direction La Recyclerie, au-dessus de la Petite Ceinture, dans le 18ème arrondissement. À la fois bar, espace d’exposition, lieu de marché temporaire, vente de produits locaux, accueil d’une AMAP, mais aussi restaurant, endroit festif et culturel, ce lieu illustre à merveille le concept de réhabilitation. Autrefois ancienne gare, le lieu est aujourd’hui devenu un espace multifonctionnel et accueillant, qui regorge de possibilités, faisant la jonction entre une place animée et tumultueuse et une parenthèse végétale.

À l’intérieur, les éléments de réemploi sont autant utilisés de manière artistique que fonctionnelle et servent au décor de ce lieu atypique. La végétation, qui semble pousser de façon anarchique autour des anciens rails de train, donne à ce lieu un caractère sauvage et authentique. Pendant quelques instants, sur un air de bal folk, à côté du caquètement des poules et face à l’écrin de verdure offert ici, nous sommes coupés de la tumultueuse capitale. Pari réussi pour la rénovation de cette gare en ferme urbaine !

La ferme urbaine de la ReCyclerie, un éco-système sur la Petite Ceinture, par YA+K
Photos prises lors de ma visite, 2023, libre de droits – La ReCyclerie

“Eco-box”, par l’Atelier d’Architecture Autogéré

“Ce qui m’a plu au départ ici, c’est le fait de voir d’autres personnes quand je viens jardiner, on peut discuter, bricoler ensemble… Parfois, on ne parle même pas, mais le fait d’être en présence d’autres personnes apaisées, qui s’adonne à la même activité, j’ai trouvé ça rassurant. Cet endroit est mon secret parisien.” S. adhérent

À peine arrivée sur place, je rencontre un adhérent qui me fait découvrir les jardins partagés. Ici, amas de choses, réemploi de matières, bricolage, tout est bon pour planter et faire pousser. Les tomates poussent dans des baignoires, les fleurs dans des arrosoirs, les fraises dans des remorques, tout cela crée une ambiance particulière. Tout à coup, nous déambulons autant dans un jardin, que dans une galerie d’art à ciel ouvert.

Eco-box, c’est un “projet vraiment symbolique – et bucolique – (rires) ” À l’origine, me confie-t-on, “le projet n’avait pas pour vocation de perdurer, c’était une première, un essai, ils (les architectes) ont essayé de voir si ça prenait, et ça prenait tellement bien, qu’on a tout fait pour qu’Eco-box perdure. Il faut dire que le concept est bien pensé : on récupère des palettes, on les assemble pour faire des bacs, puis on plante… après, on mange, et on boit ! (rires)

Pour l’Atelier d’Architecture Autogéré, le défi est plus global : permettre aux habitants de s’approprier les espaces urbains délaissés et en faire des espaces autogérés afin, à long terme, de constituer un “réseau d’éco-urbanité”. Le projet Eco-box est donc lancé en 2002 dans l’optique de générer ces rencontres à travers des initiatives écologiques comme des jardins partagés. En pratique, les jardins sont démontables et transportables, fonctionnant comme des modules mobiles. Ces micro-dispositifs peuvent alors être déployés temporairement dans différents lieux du quartier, favorisant les rencontres et soutenant les projets portés par les habitants et les collaborateurs.

Aujourd’hui, près de 20 ans plus tard, les jardins Eco-box se sont sédentarisés dans le quartier de La Chapelle, et incarnent, encore et toujours, ce lieu de rencontre, espace flexible, intemporel, qui ne cesse de se régénérer au fil des adhérent.e.s. En y flânant, on y découvre les premiers modules, autour desquels fleurissent désormais toutes sortes de nouveaux contenants, recelant d’inventivité.

Ecobox, projet d’origine, 2002, par l’Atelier d’Architecture Autogéré
Photos prises lors de ma visite, 2023, libre de droits – Eco-box

« La FAB » par le Collectif Les Saprophytes

Au cœur du quartier du Pile à Roubaix, la FAB, la Fabrique d’Architecture(s) Bricolée(s), incarne une initiative inspirante : un atelier de bricolage ayant pour objectif de développer et de démocratiser l’aide à l’auto-réhabilitation, à l’écoconstruction et au réemploi des matériaux en architecture. Née en 2011, cette démarche s’est depuis sédentarisée à la Condition Publique de Roubaix en 2015.

La FAB porte des ambitions multiples et regorge de ressources : on y trouve entre autres un atelier de bricolage en libre-service, une matériauthèque, et même une “outillothèque”.  Parmi ces intentions, le désir notamment de promouvoir le réemploi dans le domaine de l’architecture en repérant des matériaux auprès de chantiers de construction et en explorant de nouvelles perspectives pour ces ressources. La FAB vise aussi à partager les savoir-faire relatifs aux matériaux et à leur mise en œuvre à travers des stages thématiques. Enfin, la FAB se positionne en tant qu’appui pour l’auto-réhabilitation en mettant à disposition des architectes comme conseillers techniques pour soutenir des projets, qu’ils soient individuels ou collectifs, d’aménagement.

Ce projet, comme résultante d’une collaboration fructueuse entre les Saprophytes, la Condition Publique EPCC, la Fondation de France et la Ville de Roubaix, illustre une démarche de construction collaborative, de valorisation des matériaux recyclés et de diffusion du savoir au service de la communauté locale.

La FAB, Fabrique d’Architectures Bricolé.e.s, par les Saprophytes

« Structure and Space » par le Collectif Exyst

De son côté, le Collectif Exystincarne une approche architecturale éphémère, mettant en avant le réemploi et le recyclage. Leurs projets, sous forme d’installations urbaines temporaires et participatives, témoignent de leur engagement en faveur de la durabilité tout en invitant la communauté à prendre part à cette démarche : une vision novatrice, où l’architecture devient une expérience collective et écoresponsable.

Ici, nous observons le projet « Structure & Spaces », dont l’architecture se distingue d’abord par la conception novatrice d’une structure en forme de ligne caténaire et d’une arche autoportante en briques. Mais “Structure & Space”, en plus d’être une architecture remarquable, se distingue surtout par son caractère vivant : véritable lieu de vie estivale accueillant une équipe et des invités pendant plus de quatre mois. Cette installation urbaine temporaire fusionne habilement espaces publics et semi-privés, offrant ainsi une expérience unique. Le cœur de cette structure abrite un espace de travail polyvalent, utilisé pour la recherche et la fabrication de matériaux plastiques, mais aussi comme scène de concerts et lieu de projections. Les étages supérieurs proposent des espaces privés, des chambres et des bureaux, ainsi qu’une salle de yoga. Au centre de cette innovation architecturale, une cuisine encourage les interactions directes entre les cuisiniers et les visiteurs, créant ainsi un espace d’échange convivial.

Associé à cette structure, le projet satellite « Saint Plastic, » fruit d’une collaboration avec le collectif YA+K, se présente comme un objet transportable qui collecte des milliers de gobelets en plastique destinés à la création de tuiles pour recouvrir l’arche principale. Cette initiative incarne la fusion réussie entre une architecture éphémère basée sur le réemploi et le recyclage, ainsi que la participation communautaire à travers des ateliers. En somme, « Structure & Spaces » combine l’innovation architecturale, la durabilité et l’engagement communautaire pour créer une expérience urbaine unique.

“Structure and Space”, par le Collectif Exyst

“Chars pour le Carnaval des Deux Rives”, Collectif Cmd+O (prononcé “commando”)

Au détour de mes recherches, je découvre le Collectif Cmd+O. Pluridisciplinaires, ils sont architectes, artistes, djs, designers, mais surtout, engagé.e.s pour le réemploi. Quelques-uns de leurs projets m’attirent tout particulièrement, notamment les scénographies de réemploi. Victor, architecte du collectif, me décrit alors leurs engagements :

“On a commencé en 2018, avec pour idée de faire du réemploi en architecture événementielle. Aujourd’hui, on a déjà réalisé environ une centaine de projets, et depuis 1 an maintenant, tous nos projets sont 100% full réemploi, soit une vingtaine. 100% réemploi, ça veut dire que jusqu’à la vis, tous les matériaux, quincaillerie etc, sont réemployés dans le projet. ”

Chars pour le Carnaval des Deux Rives, par Cmd+O

Pour ce faire, le collectif œuvre avec tout un réseau d’acteurs engagés, d’ami.e.s, de connaissances, de contacts, développé au fil des années et qui leur permet de récupérer leurs “matières à projet”. En effet, comme le souligne Victor, “au moment de la commande, on ne peut pas fournir de dessin, c’est un contrat de confiance qui s’instaure. Dans le réemploi, il y a un taux de spontanéité, d’impromptu et d’improvisation : on fait avec les matières que l’on trouve, on s’adapte pour aboutir à un résultat final qui nous plaise, mais on ne le connaîtra jamais à l’avance.”

En 2022, Cmd+O conçoit 2 chars pour le Carnaval des Deux Rives de Bordeaux sur le thème “2084”, porté par le danseur et directeur artistique Skorpion, faisant alors écho au roman dystopique de Georges Orwell et à un avenir peu prometteur en matière d’écologie.

Paradoxalement, les chars, l’un vibrant pour évoquer le besoin irrésistible de vivre malgré les crises, l’autre évoquant une ère futuriste déshumanisée et dénaturée, résonnent comme un hymne à l’espoir. Tout en réemploi, les chars sont conçus avec une vocation pédagogique : sensibiliser le grand public lors du carnaval, mais aussi les plus petits lors des chantiers participatifs de construction réalisés au Garage Moderne.

“Dans ce projet, on a usé d’un maximum de ressources, on a pu récupérer d’anciens décors scéniques de l’Opéra de Bordeaux, des fûts de bières en plastique de bars, des tuyaux d’aération et des cache-radiateurs sur le chantier de la fac dentaire, d’autres encore à la Base Sous-Marine… Ce projet, c’est un réceptacle de mille-et-une matières.”  Victor confie alors “On aime raconter le processus du projet, c’est ce que l’on commence à faire dans la diffusion : d’où viennent les matériaux, quels usages on leur donne, comment ils seront réutilisés ensuite… On espère inspirer d’autres personnes !”

“Détente” par le collectif Parenthèses

Pour le collectif Parenthèses, architectes, graphistes, ingénieurs, scénographes et menuisiers, l’urgence est aussi au réemploi. Et quoi de mieux que le mobilier urbain pour sensibiliser le public ? Après le constat désastreux des déchets collectés à la fin des festivals, jusqu’à 100 tonnes pour un festival, le collectif se mobilise : sensibilisation, prototype, campagne Ulule, collecte de fonds. L’objectif : donner une nouvelle vie aux tentes cassées ou abandonnées par les festivaliers, tout en sensibilisant au réemploi.

Le collectif imagine alors un mobilier déclinable en 6 fonctions : assises, banc, table, jeux, mange-debout et hamac ; le tout en réemploi et matériaux biosourcés et récupérés. On y découvre un double-toit et des arceaux provenant des tentes abandonnées, des coussins imaginés à partir des toiles de sol des mêmes tentes et rembourrés avec les déchets d’un matériau déjà recyclé : Le Pavé (à découvrir !). La structure porteuse est, quant à elle, réalisée avec des chutes de bois en contreplaqué. Enfin, les éléments d’accroche sont imprimés en 3D par un fil à base de bioplastique : une matière fabriquée par la société NaturePlast, qui utilise coquillages, marc de café ou encore blé pour produire le fil ! Ici, rien ne se perd, tout se transforme, et plusieurs fois !

Été 2023, le collectif déploie 10 modules de ce nouveau mobilier urbain et éco-responsable à WeLoveGreen, un festival en région parisienne qui promeut la culture musicale avec de forts engagements écologiques et accueille plus de 100 000 festivalier.e.s.

Mobilier Détente, par le Collectif Parenthèse

“IKOS, Le Village du réemploi” par BPM Architectes et Moonwalklocal

Le village Ikos, c’est un projet ambitieux et d’une autre ampleur : donner au réemploi une véritable place dans la métropole bordelaise à travers 15 000 m² de surface dédiée à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) du réemploi. Ikos choisit alors le groupement BPM Architectes -Moonwalklocal pour transmettre les valeurs fortes de son projet, autant à travers le bâtiment qui se devra exemplaire et démonstrateur du réemploi, que dans les synergies pensées en son sein.

Le projet, aujourd’hui en phase d’étude, s’articule autour de plusieurs associations de seconde main : le Livre Vert côté culture, Le Relais pour l’habillage, Replay et Eco-Agir pour les jouets, R3 pour le traitement des encombrants, L’Atelier D’éco Solidaire, une recyclerie créative côté ameublement, Envie Gironde pour l’électroménager, Échange Nord-Sud contre le gaspillage alimentaire, et enfin les Compagnons bâtisseurs pour l’accompagnement à l’auto-réhabilitation des logements pour les populations précaires. Un cocktail généreux pour répondre à l’ensemble des demandes autour de l’économie circulaire du réemploi !

Le complexe proposera alors un véritable lieu de vie autour de l’ESS, non seulement à travers la collecte, le tri, la réparation, la transformation et la vente, mais aussi en portant des actions pédagogiques telles que la sensibilisation au réemploi, un espace de formations et un de pôle recherche et développement autour du réemploi.

“L’idée d’Ikos, c’est d’attirer des personnes qui n’achètent pas d’occasion habituellement, de donner une nouvelle image du réemploi : ce n’est plus “sale” ou “usé”, on propose des articles de qualité. Et pour l’instant ça plaît beaucoup !” vendeur en insertion professionnelle, dans le magasin éphémère Ikos, promenade Sainte Catherine à Bordeaux.

Si vous avez aussi hâte que nous que ce projet voit le jour, vous pouvez d’ailleurs le soutenir ici : https://ikos-bordeaux.fr/

Maquette et Diagramme IKOS, par le collectif Moonwalklocal

Si ces projets vous plaisent, libre à vous désormais de découvrir au gré de vos envies, ces collectifs d’architectes. La carte ci-dessous (sûrement non-exhaustive !) repère une majeure partie des collectifs en France : http://u.osmfr.org/m/952727/

Voir en plein écran

Sources

  • Echange avec le collectif Cmd+O, Bordeaux
  • Echange et travail avec le collectif Moonwalklocal, Bordeaux
  • Visite de la Recyclerie, Paris
  • Visite des jardins Eco-box avec un adhérent, Paris

VALENTINE GEOFFROY

Architecte DE

Vous souhaitez découvrir nos formations sur le thème de l’écoconstruction? Apprenez à connaître Ghara !