construire avec ressources de proximité

Construire avec les ressources de proximité, l’exemple des briques de sel en Bolivie

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Si construire avec des matériaux issus des ressources que nous trouvons à proximité de nos projets de réhabilitation ou de construction tend parfois à redevenir une norme, du moins pour une poignée d’acteurs, d’ateliers d’architecture ou encore d’habitants se lançant par exemple dans l’aventure de l’auto-construction, il n’est pas toujours évident de concilier dans le choix du matériau, à la fois une volonté esthétique, un parti-pris éthique comme peut l’être un matériau biosourcé ou géosourcé, ou encore la dimension locale d’une ressource favorisant les circuits-courts dans le processus du projet.

En dehors du bois ou de la pierre, matériaux biosourcés ou géosourcés par excellence que nous connaissons tous, certains types de sols, parmi la diversité que nous présente l’ensemble de la croûte terrestre, offrent parfois des potentiels constructifs sans que nous nous en doutions !

C’est notamment le cas du sel, qui pour nous autres occidentaux, s’apparente à un élément de notre assiette et aux paysages bien connus des marais salants. Pour autant, dans d’autres cultures, le sel pourrait bien être une ressource immédiate sur le plan constructif. Un road trip mené par un guide local en Bolivie lors d’un voyage au long court en Amérique Latine, m’aura permis de découvrir les différentes qualités mais aussi les menaces pesant sur ce matériau bien spécifique. Laissez-vous embarquer quelques minutes afin d’en apprendre davantage sur la construction en briques de sel en Bolivie !

©Orlane Huitric

Le Salar d’Uyuni, le plus grand désert de sel au monde

Une couche de sel vieille de 40 000 ans

La Bolivie, pays d’Amérique Latine sur lequel porte notamment la suite de cet article, abrite dans le Sud-Ouest de son territoire, le plus grand et le plus haut désert de sel de la planète : le salar d’Uyuni. Culminant à plus de 3650m d’altitude, au niveau de l’Altiplano bolivien au sein de la cordillère des Andes, ce dernier représente en terme de superficie l’équivalent de la surface de l’Île de France, soit presque 12 000 km² ! Dur de se rendre pleinement compte de ces données chiffrées mais toujours est-il que cela en fait la réserve de sel la plus importante de la planète.

Lorsque nous partons à la découverte du Salar en ce quatrième jour de road trip après la traversée des paysages du Sud-Lipez, le jour se lève à peine et le décor semble en effet se prolonger à l’infini. Les quelques lumières des habitations et villages alentours s’éloignent peu à peu et il devient impossible de distinguer de quelle direction nous sommes partis. Nous observons l’immensité qui nous entoure. Une vaste étendue, plate et irrégulière, s’étire sur des milliers de kilomètres carrés. Pourtant ce n’est pas un océan, mais un désert. Un désert de sel. Seule la ligne d’horizon est perceptible de part et d’autre de cette immensité contenue entre le bleu du ciel et le blanc du sel.

Ruben, notre guide et chauffeur pour ces 4 jours, nous explique que la couche de sel s’étend sur près de 100m de profondeur à travers une petite dizaine de strates alternant des sédiments calcaires et du sel. Cette couche de sel s’est formée suite à l’évaporation d’un immense lac préhistorique qui recouvrait la région il y a 40 000 ans. Ce seraient donc les multiples épisodes d’inondations et d’évaporations qui auraient contribué à la formation de ces couches successives.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

Un paysage qui évolue au gré des saisons

Ce paysage salin s’exprime différemment en fonction de la saison sèche ou de la saison des pluies, ce qui graphiquement produit un visuel de sols bien distinct. Tandis qu’à la saison des pluies, des mois de janvier à mars, le salar d’Uyuni se recouvre d’une fine couche d’eau et reflète les rayons du soleil à l’image d’un gigantesque miroir, il offre un sol craquelé dessiné par des motifs très graphiques lors de la saison sèche. La binarité de ce paysage, pourtant composé essentiellement d’un seul matériau, traduit pourtant des perceptions très différenciées au gré des apports de lumière.

Sous nos pieds, les cristaux de sel qui s’étendent à perte de vue ressemblent à un assemblage de petits cubes comme si ces derniers traduisaient déjà leur vocation constructive. 

© Orlane Huitric

Le sel, un matériau riche en ressources

Construire en sel : entre potentiel touristique et qualités architecturales

Le lendemain, alors que nous longeons les rives du salar, nous découvrons un site d’exploitation. Au milieu de tas coniques, une poignée d’hommes récolte du sel. A l’aide d’outils rudimentaires, leur pénible travail permet d’extraire chaque année environ 25 000 tonnes de sel sur les 11 milliards estimés de l’intégralité du gisement. Selon les endroits, l’épaisseur de la croûte de sel varie entre 2 et 10 mètres. La couche supérieure, la plus blanche et la plus pure, est grattée et utilisée pour l’alimentation, tandis que des blocs plus importants sont extraits pour la construction.

Si sur la banquise, il y a des igloos alors pourquoi serait-il étonnant de trouver des architectures de sel dans le Salar d’Uyuni ?

Dans la région d’Uyuni ainsi que dans celle d’Oruro, les maisons et hôtels en briques de sel se comptent en effet par milliers. Pour ces villages dont les habitations se trouvent à proximité des salines, ce matériau est facilement accessible. Cependant, il faut savoir que contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la construction en briques de sel n’est pas typique des techniques de construction andines depuis des millénaires. A l’inverse, ce seraient des propriétaires d’hôtels qui auraient commencé à construire en briques de sel il y a une dizaine d’années saisissant le potentiel du matériau comme attraction du tourisme local.

C’est le cas du bâtiment dans lequel notre guide Ruben nous a conduit pour la dernière nuit de cet inoubliable road trip. L’auberge s’avère être construite intégralement à partir de blocs de sel : les sols, les murs, et même les meubles sont de sel ! Ainsi, chaque table, assise ou même lit est taillé à partir de blocs de sel.

© Orlane Huitric

Si l’usage du sel dans la construction est cohérent seulement dans les régions arides, il semble plus judicieux d’opter pour des constructions de faible hauteur, le tout étant interdépendamment lié à la qualité des blocs de sel taillés et ensuite découpés en briques. Sur le plan énergétique, la mise en œuvre du sel dans ce contexte si particulier, dénote par ailleurs de bonnes qualités d’isolation. Incroyable mais vrai, nous n’avons pas eu froid durant cette nuit aux abords du Salar alors même que les températures étaient négatives au beau milieu de la nuit et que l’appareillage de briques de sel était le seul élément constituant le mur !

Outre ses capacités isolantes, ce matériau serait doté selon Ruben de propriétés de purification de l’air et contribuerait donc à rendre les espaces de vie plus sains. Cependant, le sel présente malgré tout quelques problématiques puisqu’il attaque prises et fils électriques. C’est d’ailleurs pour cette raison que sur place ces derniers sont protégés par une gaine.

D’un point de vue architectural, les différentes teintes colorimétriques qu’offre le sel donne à voir une lecture en strates, un peu à l’image du pisé lorsque les couches de terre sont compactées. En plus de s’affirmer dans ce contexte paysager si particulier, la dimension brut de la matière et l’assemblage de ces briques si atypiques rend explicite la poésie du lieu. Les teintes ocres de la matérialité paraissent d’autant plus apaisantes, au regard des menuiseries en bois qu’offre l’intérieur du bâtiment et des tissus colorés, si propres aux cultures des pays andins.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

La plus grande réserve de lithium de la planète menacée ?

Sous ce premier gisement se cache la seconde richesse du salar d’Uyuni. Le sous-sol du désert de sel renferme en effet une saumure riche en lithium, utilisée notamment dans les batteries et piles de nos appareils électroniques… L’exploitation de ce métal alcalin constitue un grand espoir économique pour la Bolivie, d’autant que sa consommation mondiale augmente de 6% par an depuis les années 2000. Si la demande s’accentue, c’est notamment dû à l’apparition de véhicules électriques qui utilisent des batteries au lithium. Dans ce contexte, les pays du « triangle andin », à savoir l’Argentine, le Chili et la Bolivie souhaitent adopter une position stratégique : leurs réserves naturelles sont en effet l’objet de convoitises de la part des investisseurs étrangers… Si le gouvernement bolivien ne souhaite pas répéter les situations d’assujettissement passées, pendant lesquelles la Bolivie fournissait des matières premières à bas prix, au XVIe siècle concernant l’exploitation des mines d’argent et d’étain de Potosi ou encore au XXe siècle l’exportation du gaz naturel du territoire, ce potentiel économique pourrait bien mettre en danger ce paysage naturel presque unique au monde… Sera-t-il possible pour ce pays authentique, au niveau de vie bien plus contrasté et modeste que celui que nous pouvons connaître pour beaucoup en Europe, de concilier opportunité économique et préservation de ces riches paysages ?

Une chose est certaine, les produits que nous consommons au quotidien et leur provenance ont un impact non négligeable sur les richesses naturelles de notre planète…

© Orlane Huitric

ORLANE HUITRIC

Architecte D.E