Tour français des chantiers participatifs 2/5

Hugues Verneau Articles écoconstructions

Premier chantier participatif à Gordes (Vaucluse)

Tressage en canne de Provence
Tressage en canne de Provence

1) Présentation de mes hôtes

C’est chez Laëtitia et Stéphane à Gordes que je suis accueillie en premier pour une durée de 2 semaines.

Ils habitent un très vieux mas provençal hérité de la famille de Laëtitia.

C’est une maison sans fondation, construite à même le sol sur une roche calcaire réputée du Vaucluse : la Lauze, qui à la particularité d’être plate.

Elle fait partie des roches sédimentaires de Provence et est connue pour son utilisation dans les murs de pierres sèches, ouvrage que je vais avoir la chance de travailler pendant mon chantier.

Soucieux de vivre dans un habitat sain et le plus autonome possible, Laëtitia, Stéphane et leur fille de 5 ans rénovent cette bâtisse par petits bouts depuis 5 ans.

Cela fait 2 ans qu’ils accueillent Liliane qui participe aux chantiers, aux tâches de la maison et accueillent régulièrement des volontaires pour les aider à avancer dans leurs projets de construction.

Ils louent également l’une de leur chambre en Airbnb, ce qui leur fait en plus du salaire de Stéphane, professeur d’EPS, un petit apport supplémentaire.

2) Premières impressions : Au-delà du Chantier, une Vie Alternative

Commençant ma toute première expérience en chantier participatif, je découvre beaucoup de nouvelles choses dès le jour de mon arrivée !

Je comprends très rapidement que mon expérience ne va pas se limiter qu’à du chantier.

Ce qui me frappe en premier chez mes hôtes, c’est leur mode de vie complètement alternatif.

La famille recycle, récupère, trie, consomme très peu, aucun chauffage ni climatisation.

Ils recherchent l’autonomie totale.

Mais comment y parviennent ils ?

Les réponses sont à la fois architecturales et à la fois engagées dans un mode d’habiter vertueux et respectueux.

LE CONFORT ETE/HIVER

La maison, ancienne et bâtie en pierre, nécessitait des aménagements pour garantir un confort durable, été comme hiver, sans dépendre de l’électricité.

Lors de discussions approfondies avec Laetitia, elle partage ses réflexions sur les pratiques contemporaines de construction.

Elle souligne l’importance de considérer le confort d’été, particulièrement face au réchauffement climatique, et l’urgence d’adapter nos constructions à ces nouveaux défis climatiques.

Heureusement, peu de modifications ont été nécessaires pour la période estivale.

La maison, grâce à ses murs en pierre et à l’absence d’isolation au sol, profite de la fraîcheur naturelle du sol rocheux sur lequel elle est construite.

Ainsi, Laetitia m’explique que la structure existante offrait déjà une protection efficace contre la chaleur sans besoin d’aménagements supplémentaires.

En revanche, assurer le confort en hiver a représenté un défi plus important.

Au début de la rénovation, Laetitia a conçu un système ingénieux pour chauffer le mas.

Lorsque les chantiers participatifs ont débuté, le couple a d’abord isolé les murs en pierre de l’intérieur, en utilisant un isolant en chanvre suivi d’un enduit chaux/chanvre.

Mais avant de procéder à l’enduit, ils ont installé un réseau de tuyaux en cuivre qui parcourt toutes les surfaces intérieures.

L’eau circulant dans ces tuyaux est chauffée par les vapeurs émises par le poêle bouilleur situé dans la pièce principale.

Grâce à ce système innovant, chaque pièce de la maison maintient une température agréable de 19°C durant l’hiver.

LES HABITUDES ALIMENTAIRES


La famille a développé au fil des années différentes habitudes alimentaires, leur permettant de manger sainement, en consommant très peu d’électricité.

Le premier principe est de ne pas acheter de produits transformés et de tout cuisiner.

Le second est de n’acheter uniquement que du vrac pour limiter les déchets plastiques.

Enfin, ils n’achètent que des produits de saison. Pour cela, ils anticipent !

Par exemple pour la tomate, ils récupèrent la surproduction de tomates des producteurs bio voisins ou parents et les conservent pour en bénéficier l’hiver.

Ils m’expliquent avoir récupéré l’année dernière 200kg de tomates et avoir fait des bocaux de sauce tomate maison, de soupes à la tomate pour ensuite les conserver et les consommer le reste de l’année.

Pareil pour les fruits, ils produisent de la compote et de la confiture en masse et les conservent dans des bocaux.

Ainsi les fruits et légumes de saison peuvent être mangés à l’année grâce à leur conservation.

Pour la cuisine, ils utilisent des plaques de cuisson au gaz pour les petits repas chauds et pour le reste ils anticipent également.

En attendant de posséder un four à bois, ils utilisent leur four
électrique.

Mais pour limiter la consommation d’électricité, ils ne l’allument qu’une fois tous les 10 jours en anticipant les repas pour les 10 jours à venir.

Ils cuisinent un grand nombre de préparations, et allument le four pour 4-5h.

Ce qui leur permet de profiter de la chaleur produite par celui-ci pour chauffer le pain, les plats au four (pizzas, quiches maison, lasagnes, etc…).

Ensuite ils conservent au congélateur les plats cuisinés et pour les repas cuits au four.

Ils les réchauffent sur le poêle bouilleur lui offrant une double utilité en plus du chauffage.


LA CONSOMMATION D’EAU

Il est essentiel de considérer la gestion de l’eau lorsqu’on parle d’écologie, et mes hôtes en sont bien conscients.

Leur approche de gestion de l’eau leur permet non seulement d’anticiper les futures restrictions liées aux sécheresses.

Mais aussi de maintenir leur jardin bien nourri sans craindre de pénurie.

Leur système repose sur plusieurs méthodes :

  • Stockage des Eaux de Toiture : Ils collectent l’eau de pluie des toitures dans une cuve de récupération d’une capacité impressionnante de 30 m³.
  • Récupération des Eaux Grises : Toutes les eaux grises de la maison (issues de la douche, de la vaisselle, du linge, ainsi que les urines) sont récupérées via un système de tuyauterie.

Elles sont directement acheminées vers le jardin où elles irriguent des trous creusés à la main, destinés à accueillir des arbres fruitiers.

Il est important de noter que les produits utilisés pour le nettoyage sont biologiques et sans danger pour la terre.

L’éco lieu en développement où résident mes hôtes est un exemple parfait d’une vie alternative.

Leur objectif est d’atteindre une autonomie totale en termes de nourriture et d’eau.

Cette transition vers un mode de vie résilient prend du temps, mais grâce à l’expertise de Laëtitia, acquise durant son Master en architecture, et à la volonté du couple de s’éloigner de la société de consommation, ils y parviennent avec succès.

Ils sont particulièrement motivés par le désir d’offrir à leur fille de 5 ans un environnement sain et durable.

3) Mon expérience sur le chantier

Mes premières attentes en tant que volontaire pour faire du chantier participatif allaient au-delà du rythme proposé par Laëtitia et Stéphane.

Je pensais travailler tous les jours à un rythme assez soutenu mais il m’a finalement permis de comprendre tout ce qui se passe autour du chantier.

Etant tout de même venue pour toucher la matière et construire de mes mains, j’ai pu effectuer plusieurs ouvrages proposés par la famille :

  • Clouer un plancher bois pour une terrasse
  • Fabriquer des panneaux tressés en canne de Provence
  • Elaborer des murs en pierre sèche
  • Agrandir « l’arbre de récupération des eaux grises »

TERRASSE EN BOIS

Le premier travail que j’effectue à mon arrivée est la construction de la terrasse en bois.

Son emplacement est stratégique puisqu’elle va se poser au dessus de la cuve de récupération des eaux de pluie afin de la recouvrir.

La structure principale de la terrasse était déjà construite, j’aide alors à clouer le plancher en Douglas, arbre fréquemment utilisé car il est moins cher et adapté à ce genre d’ouvrage.

Nous commençons par poncer les tranches des planches à la main, puis nous les clouons.

Stéphane ne souhaitait pas avoir des planches parfaitement identiques donc le plancher formé alterne planches larges, moins larges et étroites.

Le plancher posé, nous avons égalisé les bords de la terrasse en sciant les morceaux qui dépassaient car les planches n’avaient pas exactement la même longueur.

Puis nous avons enfin poncé le tout.

Avancement de la terrasse
Avancement de la terrasse

HABILLER LA TERRASSE EN PENTE

Cette terrasse a une particularité :

Comme elle a pour objectif de dissimuler la cuve de récupération des eaux de pluies semi enterrée sur les hauteurs du jardin.

Elle est surélevée laissant tout de même apparaitre la cuve sur 3 côtés.

La famille ne souhaitait pas laisser cette cuve visible donc après l’avoir dissimulée par le haut grâce à cette terrasse, il faut la cacher par les côtés.

Pour cela, Laëtitia, familière de la canne de Provence et amoureuse de la technique de tressage main, propose de créer des panneaux tressés et de les positionner tout autour de la terrasse.

Nous nous attelons donc à cette tâche et partons chez une voisine proche de la famille, chez qui nous allons récolter de la canne de Provence.

Celles-ci serviront de paroi opaque entre son terrain agricole et celui de son voisin.


La camionnette remplie de bambous, nous les acheminons jusqu’au mas et commençons à travailler.

Fabrication d'un panneau en Canne de Provence
Fabrication d’un panneau en Canne de Provence

Le premier travail se fait avec une serpette : il faut retirer tous les nœuds et branches dépassant pour ne laisser que le tronc.

Ensuite nous choisissons les 4 plus épais, et préparons l’ouvrage.

Nous avons ici cloué ces 4 bambous sur une palette, à chacune 50cm d’écart. Le tressage peut ensuite commencer.

Avec un autre bambou, on fait glisser le bois de manière à ce qu’il passe sous le 1er cloué, sur le 2ème, sous le 3ème et enfin sur le 4ème.

Une fois la canne glissée jusqu’au bout, au niveau de la palette, il faut reproduire le mouvement en alternant les bambous jusqu’à atteindre le bout.

Ensuite on les retire de la palette et on tourne l’ouvrage pour reproduire la même chose de l’autre côté.

Une fois le panneau tressé, nous le mettons de côté et recommençons jusqu’à utiliser toute la matière.

Nous sommes ainsi parvenus à produire 5 panneaux.

J’ai quitté le chantier avant de voir le bout de cette étape.


Panneau en Canne de Provence
Panneau en Canne de Provence

Ces panneaux tressés ne concernent que 3 des 4 côtés de la terrasse rectangulaire.

Cela s’explique par la pente du terrain qui descend à l’Ouest.

Le côté Est de la terrasse fait l’objet de 2 autres journées de chantier qui vont consister à retravailler le niveau du terrain de manière qu’il atteigne le même niveau que la terrasse en bois.

Pour cela 2 travaux :

Des murs de soutènement en pierre sèche puis un remplissage terre.

Pose des panneaux en canne de Provence
Pose des panneaux en canne de Provence

En quoi consiste le mur de pierre sèche ?

C’est un travail très minutieux qui consiste à construire un mur sans utiliser de liant.

Il faut choisir ses pierres (relativement plates) et les positionner les unes à côté des autres pour former la première rangée, puis recommencer l’étape sur plusieurs niveaux.

Parfois on se trompe de pierre, il faut la remplacer, trouver la bonne, recommencer, chercher de nouvelles pierres.

C’est un travail de grande patience car le mur ne doit pas bouger, il est destiné à accueillir la terre derrière donc il doit pouvoir la retenir.

Le secret est de lui donner un ventre et ne pas le construire dans une verticalité parfaite.

Ensuite, pour les murs plus hauts, il faut qu’il soit épais, quitte à faire un double mur.

Enfin il faut remplir l’arrière de petits cailloux avant de mettre la terre par-dessus.


Nous avons trouvé également de grandes pierres pour constituer un petit chemin.

La terre était déjà présente mais formait un grand tas que nous avons étalé et qui accueillera plus tard, des plantes et fleurs que Laëtitia prendra plaisir à planter avec sa fille.

À la fin, nous parvenons à ce résultat.

Fabrication de la terrasse en bois
Fabrication de la terrasse en bois

ARBRE A RECUPERATION DES EAUX USEES

Le dernier travail que j’effectue dans ce jardin, est l’agrandissement de ce que la famille appelle « l’arbre à pipi » car il recueille toutes les eaux grises, urines comprises.

2 trous avaient déjà été creusés par Laetitia, mais nous avons constaté que l’eau s’accumulait à l’intérieur et que la terrasse n’absorbait plus rien.

Nous nous munissons donc de pelles et de pioches, pour former 3 nouveaux trous à la suite des précédents.

Le terrain présente une légère pente ce qui va permettre à l’eau qui débordera des premiers trous de descendre dans les nouveaux.

Les trous sont en 2 parties :

  • une partie centrale et plus profonde destinée à accueillir un arbre fruitier,
  • puis une auréole autour d’environ 1m50 de diamètre qui accueillera les eaux nourricières.


Enfin nous creusons des chemins entre les premiers et les derniers trous et plaçons des tuiles de réemploi pour faciliter le passage de l’eau.

Nous ajoutons également des pierres du terrain autour de chaque trou pour bien les signifier et éviter les accidents.

Agrandissement de l'arbre à récupération des eaux grises
Agrandissement de l’arbre à récupération
des eaux grises

Les deux semaines terminées, je prends mon matériel et ma voiture, puis me dirige vers le prochain chantier dont je raconterai l’expérience dans un prochain article.

Une formation ou une reconversion dans les matériaux biosourcés ?

Cliquez sur le lien pour découvrir GHARA : https://www.ghara.fr/

PAULINE GALLARDO

Architecte D.E