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Perméabiliser les espaces publics : un enjeu fort pour notre confort d’usages d’aujourd’hui et de demain (1/2)

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Quelles que soient nos usages et parcours au sein de l’espace urbain, nous avons toutes et tous expérimenté au moins une fois des espaces publics où la voirie est omniprésente, avec des surfaces de sols imperméabilisées disproportionnées et des arbres presque inexistants… la voiture trônant au centre de ce paysage ! Les dernières décennies, propices au développement des zones commerciales et industrielles à outrance, ont d’autant plus favorisé la culture de la voiture dans notre quotidien et par conséquent celle du langage routier au sein des projets d’espaces publics.

Si le paysage reste une approche centrale dans notre approche des territoires, « l’écologie appliquée » est devenue, au fil des années, un sujet croissant de réflexion dans la composition des projets, quelle qu’en soit l’échelle. Plus récemment, la prise de conscience collective du réchauffement climatique, fait naître dans certaines communes ou métropoles, des opérations de désimperméabilisation des espaces publics.

Concevoir ou requalifier les espaces publics actuels avec des matériaux perméables devient alors essentiel afin d’adapter nos territoires à notre confort d’usages sous le climat de demain. Avant de vous emmener dans un second article à suivre prochainement en direction de Bastia ou de Marseille, découvrons ensemble les enjeux propres de la désimperméabilisation et l’éventail des sols perméables via une réflexion urbaine menée dans la métropole de Saint-Etienne.

Les espaces publics : d’un historique minéralisé aux engagements plus vertueux

Désimperméabilisation : c’est quoi ?

Depuis le XIXème siècle, une vision ingénieure et très minérale de l’aménagement de la ville prédomine. Pour des besoins de confort et de raisons sanitaires, les espaces publics et privés ont ainsi été complètement imperméabilisés. Aujourd’hui, les conséquences du réchauffement climatique poussent à réfléchir sur de nouvelles approches, plus résilientes, notamment en matière de gestion des eaux pluviales.

Après plus d’un siècle d’artificialisation forcenée de nos villes et d’espaces davantage pensés pour la circulation de la voiture que la déambulation du piéton, ces réflexions pourraient-elles amorcer concrètement la désartificialisation de nos sols ?

Vers des politiques urbaines durables ?

Certaines villes engagent des processus de révision de leur PLU (Plan Local d’Urbanisme) en imposant des règles claires sur les arbres détruits par les projets de construction, avec l’obligation de replanter des arbres de même gabarit. Le PLU peut aussi viser à augmenter le pourcentage d’espace de pleine terre minimal, à limiter la prolifération de piscines privatives et à définir un nombre minimal d’arbres par m² de terrain non bâti.

Ainsi, penser des espaces publics confortables pour aujourd’hui et demain va de pair avec la revégétalisation des villes. Intégrer des espaces suffisamment ombragés permet à la fois de recréer des espaces de convivialité et de lutter contre les îlots de chaleur urbain.

Il va de soi que pour tendre dans cette direction, il est nécessaire de concilier aménagement du territoire et préservation des ressources en eau. Ainsi, les démarches de désimperméabilisation répondent à l’impératif du cycle de l’eau et de développement de la nature en ville afin de réduire notamment les risques d’inondation, de déployer des îlots de fraîcheur et d’améliorer le confort d’usages en ville.

Désimperméabiliser, c’est un moyen pour rétablir les fonctions que le sol assurait d’être aménagé de la sorte, à savoir ses capacités d’infiltration, le stockage du carbone, le développement d’une biodiversité etc. C’est une première étape vers la renaturation des espaces qui est un processus plus complexe.

Choisir des revêtements perméables : pourquoi et comment ?

Et concrètement, pourquoi désimperméabiliser ?  

Les revêtements et constructions ont une influence sur le cycle de l’eau : c’est pourquoi les matériaux imperméables altèrent les capacités d’infiltration de l’eau dans le sol. Désimperméabiliser nos sols a de nombreux effets, plus ou moins visibles, mais bénéfiques directement ou indirectement sur le paysage et pour nous, les habitants de ces territoires.

En somme, désimperméabiliser les espaces publics de nos villes a des conséquences directes sur la qualité de nos modes de vie. Cela permet à la fois de :

– recharger les nappes phréatiques

– limiter l’accumulation des déchets solides dans les réseaux

– limiter l’accumulation de polluants et contaminants vers les cours d’eau

– réduire les volumes d’eau de pluie collectés

– réduire le risque d’inondation

– limiter les îlots de chaleur

– développer des espaces paysagers polyvalents

– favoriser l’attractivité des territoires et le développement des écosystèmes

– créer un nouveau rapport à l’eau en ville en aménageant des îlots de fraîcheur

– amoindrir le coût de création de réseau pluviales

Vue depuis le parking du palais des spectacles dans les années 1990, Saint-Etienne © Arnaud Duboys Fresney, ouvrage (re)dessiner
Photographie du palais des spectacles à la livraison par l’Atelier de Chemetoff © Arnaud Duboys Fresney, ouvrage (re)dessiner

Concerter et sensibiliser, une démarche primordiale

La communication des projets d’aménagement de l’espace public s’effectue à plusieurs échelles, Dès les premières phases de conception, il est indispensable pour l’équipe de maîtrise d’œuvre d’identifier les besoins et les capacités financières de la commune en concertant les services de la collectivité.

De même, la sensibilisation des usagers et habitants à la gestion alternative des eaux pluviales est un élément indispensable à la bonne acceptation des projets et des usages adéquates. La gestion intégrée des eaux de pluie modifie en effet nos habitudes, notre vision de l’eau et nos mentalités. Parfois encore crainte aujourd’hui, l’eau de pluie n’est plus dissimulée et est réintégrée à l’espace public. Cette acceptation passe d’abord par un accompagnement et une concertation pendant la conception des aménagements mais également au quotidien pour garantir la durabilité de ceux-ci.

Cette communication, selon les formes qu’elle peut prendre, participe ainsi à la bonne connaissance de ces ouvrages ou matériaux parfois spécifiques et à la pérennité des aménagements.

Le choix de matériaux adaptés : l’inventaire des matériaux perméables

Il convient d’adapter le choix de revêtement en tenant compte du contexte, des enjeux urbains et des contraintes d’infiltration et de fonctionnement. Il paraît évident que le choix des matériaux sera réfléchi en fonction des ses caractéristiques techniques mais aussi en fonction des usages attendus, à savoir si le sol en question sera davantage dédié au piéton, à la végétation, aux véhicules en stationnement, à la voirie, à un passage intensif etc.

A l’identique d’un projet d’architecture, il conviendra de veiller à la qualité et à la provenance des matériaux et des végétaux afin de raisonner au mieux avec les éléments locaux.

4_inventaire des sols perméables du parc François Mitterrand © Orlane Huitric
Inventaire des sols perméables du parc François Mitterrand © Orlane Huitric

Les revêtements perméables se caractérisent par leur capacité à infiltrer les eaux pluviales de surface et/ou les stocker dans leur épaisseur pour les restituer ensuite dans le milieu naturel. L’effet d’îlot de chaleur est en partie lié aux types des revêtements et aux matériaux mis en œuvre. Pour accentuer le degré de perméabilité des sols, il est judicieux de privilégier les revêtements ayant un albédo[1] proche de 1 et une émissivité proche de 0. Il existe par ailleurs 3 types de matériaux perméables : les revêtements non liés, modulaires et liés.

Quand vous réfléchissez aux typologies de revêtements de sols perméables, vous pensez très certainement aux surfaces de pleine terre ou enherbées, ou encore au sable etc. Cependant, leur diversité présente un inventaire très varié, nous pouvons alors également évoquer les pavés enherbés, les dalles béton (ou autre matériau imperméable) avec joints enherbés, un mélange fertile gravier-gazon, les surfaces empierrées, l’asphalte poreux ou encore tout simplement le stabilisé.


[1]L’albédo désigne l’indice de réfléchissement d’une surface en fonction de sa couleur mais aussi de sa texture et porosité. Sa valeur est comprise entre 0 et1. Un corps noir a un albédo nul car il absorbe toute la lumière incidente et un miroir a un albédo de 1 car il réfléchit toute la lumière incidente.

© Arnaud Duboys Fresney

L’économie inventive : une réflexion des sols par Alexandre Chemetoff

Au sein de la métropole de Saint-Etienne, le Parc François Mitterrand a fait l’objet d’une transformation réfléchie il y a une dizaine d’années par l’Atelier Alexandre Chemetoff dans le cadre du plan guide pour l’ensemble de la ZAC Manufacture Plaine Achille.

Si je vous évoque cette référence urbaine, c’est également parce qu’en travaillant sur ce périmètre actuellement à l’Atelier de Montrottier, j’ai eu l’occasion d’appréhender en détail la palette des sols mise en œuvre par Chemetoff. Au sein de ce parc, le dessin des sols répond par ailleurs à des enjeux de sobriété en terme de matière (utilisation du béton balayé, du pavé ponctuellement…) mais aussi dans le dessin par l’apport de perméabilité dans le traitement des sols (seuils, pavés enherbés, disparition de la bordure etc…). Cette palette de sols permet ainsi, à mes yeux, de visualiser un inventaire non exhaustif de revêtements de sols perméables. Maître d’œuvre urbain de la ZAC, l’atelier de Montrottier a ainsi fait le choix de réinterpréter cette manière de dessiner l’espace public en reprenant ces codes. La couche d’aménagement engagée par l’atelier agit donc en continuité de cette couche antérieure, elle vient d’une certaine manière terminer l’aménagement engagé presque 20 ans auparavant.

Eventail de sols perméables à la ZAC Manufacture Plaine Achille ©Atelier de Montrottier

Les illustrations ci-contre témoignent de la diversité de typologies de sols dont il est possible de faire preuve quand nous évoquons la perméabilité des espaces publics. Maintenant que vous avez en tête ces différentes possibilités, rendez-vous au prochain article en direction de Bastia puis de Marseille ! Nous découvrirons plus précisément la mise en œuvre de deux projets urbains et paysagers dans cette même logique. En attendant, des formations chez Ghara restent à votre disposition pour en apprendre davantage à l’échelle bâtie !


ORLANE HUITRIC

Architecte D.E