RECYCLER LA VILLE

Modulable, flexible, réversible : anticiper la transformation d’une construction, une nouvelle pratique de l’éco-conception

Louisa Frangeul Actualité Ghara

Au moment où l’on se rend compte des dégâts environnementaux du secteur de la construction, de nouvelles approches de conception architecturale permettent de limiter les dégâts sur l’environnement et d’éviter la démolition des bâtis. En effet, ces cycles de destruction/reconstruction peuvent être considérablement réduit en incorporant les notions de temporalité et de phasage dans les projets architecturaux et urbains afin d’anticiper la reconversion d’un bâtiment. Ainsi en incluant le principe de résilience dans le domaine de la construction, de nombreuses solutions émergent chez les constructeurs, agences et collectivités élaborant des nouvelles méthodes et outils pour construire plus efficacement et écologiquement.

Rappelons qu’en France, le secteur de la construction est énergivore : c’est pourquoi au-delà d’une réflexion sur l’utilisation des matériaux apporté dans les écoconstructions, les projets doivent aussi intégrer une réflexion sur des usages futurs non-programmés dans la phase de conception afin d’accroître la durabilité des structures.

Réversibilité, flexibilité, modularité, évolutivité …  Quelles différences ? 

Dû principalement aux changements d’usages, de nombreuses infrastructures sont aujourd’hui vouées à la destruction dans les territoires. Cependant, de nombreuses techniques de conceptions permettent de redorer, revitaliser, redynamiser un lieu ou encore suivre les nouvelles pratiques des usagers. La réhabilitation et la rénovation font partie de ces possibilités : c’est-à-dire remettre aux normes le bâti en vue des réglementations contemporaines ou bien effectuer de lourds travaux afin de le remettre dans son état initial. Cependant, certaines transformations sont tellement importantes, principalement dues aux règles ultra-normées de la construction en France (thermiques, acoustiques, amiantes, incendie, réseaux, accessibilité…) qu’elles coûtent parfois plus cher qu’une destruction suivie d’une nouvelle construction.

Vers des usages futurs : la réversibilité

En d’autres termes, la réversibilité est la capacité d’un ouvrage à anticiper le changement et modifier aisément les usages afin de réduire l’impact ou bien le coût de ce changement, jusqu’à même redonner à la nature son espace propre. De ce fait, un même bâti peut être pensé afin d’y intégrer des logements, puis être transformer en équipement public sans investir dans un chantier long et onéreux. Cette même notion permet à la fois de faire une économie de matériaux, mais aussi de respecter les sols et répondre à la problématique du domaine foncier saturé dans les milieux urbanisés.

Ainsi, l’atelier Canal Architecture publie un ouvrage en 2017 en collaboration avec des architectes, urbanistes et constructeurs après plusieurs années de recherches sur cette notion. De ce fait, les recherches se sont principalement développées autour des normes de la construction afin de conjuguer les réglementations relatives à l’habitat et celles relatives aux établissement relevant du public (ERP) et ainsi s’adapter à la plus contraignante afin de respecter les conditions d’accessibilité, d’incendie. Sept outils de conceptions permettent, selon cet ouvrage, de répondre à ce principe :

  • Une épaisseur d’environ 13 m : idéale pour des appartements traversants (finis les habitats orientés-nord), espaces + lumineux ;
  • Un espace entre deux dalles de 2,70 m : plus qualitatif pour des logements qui sont généralement avec une hauteur sous plafond situé autour des 2,50 m ;
  • Des circulations et pontons extérieurs : espaces de rencontres pour les bureaux, lieu de rencontre ou de repos pour les habitations et permettant de mutualiser les issues de secours ;
  • Un système constructif poteaux-dalles : ce plan libre permet une liberté d’agencements et une réduction de l’utilisation de la matière comparé à d’autres systèmes constructifs tels que les refends perpendiculaires ;
  • Une distribution de réseaux sans reprises structurelles ;
  • L’enveloppe extérieure avec moins de 30 % des éléments à remplacer ;
  • Double niveau rez-de-chaussée et toit habité : permettant la création de commerces, espaces associatifs créant ainsi une relation directe avec l’espace public ou encore des duplex pour les logements.
Coupe perspective d’un bâtiment respectant ces principes de réversibilité. Projet de fin d’études – Ensa Normandie – AMIR/MERIAN

L’usager au cœur du projet

De nombreux espaces non utilisés sont présents en France aujourd’hui : plus de 4 millions de bureaux vacants en Ile-de-France[1] (dont seulement 20 % sont potentiellement réversible) et plus d’1 million de personnes ne disposent pas d’un logement[2] (logés chez un tiers ou encore dans des hôtels). Ce sont principalement les conséquences de la monofonctionnalité, de la construction trop rapide, et enfin l’omission d’une maîtrise d’usage dans les projets, c’est-à-dire la participation des usagers dans la phase de projet à l’instar des tiers-lieux[3] et projets d’urbanisme transitoire qui en intègrent une. La réversibilité offre ainsi une nouvelle image des bâtiments, entre hybridité et usages multifonctionnels qui sont en mouvance perpétuelle contrairement à l’architecture qui, quant à elle, est un élément figé.


[1] l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise d’Île-de-France

[2] Fondation Abbé Pierre

[3] cf. article Ghara « Les Tiers Lieux ».

L’architecture « réversible » : un modèle en expérimentation

Afin de pouvoir expérimenter des constructions peu conventionnelles, les permis « d’innover »[4] et « d’expérimenter » offre ainsi la possibilité de déroger à certaines réglementations pour aboutir à des bâtiments hybrides et de futurs scénarios anticipés. Le premier permis de construire « sans affectation préalable de destination » a donc été déposé par l’agence Canal Architecture en janvier 2022 afin de construire un ensemble, écologique et autosuffisant à Bordeaux, sur le territoire de la ZAC Saint-Jean Belcier. Cet ensemble intégrera des bureaux, logements et commerces ou encore des activités non prédéfinies et permet ainsi d’éviter une « obsolescence de l’usage ».

On retrouve aussi ce type de projets dans certaines constructions éphémères : de grands aménagements effectués pour les Jeux olympiques 2024 à Paris avec des projets dirigés par Dominique Perrault bénéficie aussi de cette dérogation afin de reconvertir certains parties en logements. Les Jeux olympiques de Londres en 2012 ont également été pensés en amont afin de reconvertir les structures, notamment avec des structures modulaires et évolutives afin d’accueillir de nouveaux équipements publics. Bien que le coût des constructions soit jusqu’à 20 % plus chères dans certaines configurations, cet investissement est amorti sur le long terme.


[4] https://novlaw.fr/construction-quest-ce-que-le-permis-dinnover/

Des modes de vie évolutifs

Espaces entre flexibilité et élasticité

Concept théorisé durant la seconde moitié du XXème siècle, de nombreuses recherches ont été effectuées sur le travail de la « polyvalence ». L’idée est de répondre à la demande et aux changements des modes de vie et d’usages par des espaces plus souples : par exemple en créant des parois mobiles et additionner ou soustraire des espaces adjacents (élasticité) ou encore pouvoir modifier l’organisation des espaces (flexibilité). Ce dernier a été étudié en autre par l’agence Lacaton-Vassal et l’ensemble de logements mixtes étudiants/sociaux à Ourcq-Jaurès (Paris). Tous les logements sont dotés de jardins d’hivers, appropriables au souhait des usagers. Ainsi, cet espace crée un système bioclimatique en été avec une ventilation naturelle pour éviter une surchauffe, et en hiver un espace tampon entre l’extérieur et les espaces de vie pour se protéger du froid.

Ces évolutions peuvent répondre à de nombreux enjeux sociaux et économiques en offrant aux usagers la possibilité de modifier des espaces. En effet, 45 % des appartements dans la petite couronne de Paris sont ainsi « sous-peuplés », du principalement aux enfants quittant le domicile familial : intégrer ce changement à une nouvelle construction permettrait à ces chambres de se transformer en de potentiels studios ou T2 afin d’accueillir des personnes en situation de précarité, des étudiants ou encore des jeunes travailleurs. De ce fait, les logements évolutifs peuvent ainsi changer en fonction des typologies familiales.


Exemple d’appartements T3 et T2 évoluant en T4. Projet de fin d’études – Ensa Normandie – AMIR/MERIAN

Remplacer pour réparer : la modularité

On retrouve cette notion durant les années du Bauhaus notamment avec Walter Gropius et ses recherches sur des systèmes préfabriqués. Cela consiste à remplacer ou encore ajouter des modules sur une construction afin d’agrandir, soustraire ou réparer une partie. Quelques structures ont développé des espaces modulaires comme la fameuse Nakagine Capsule Tower de Tokyo : en cours de déconstruction aujourd’hui, son principe était de pouvoir changer chaque élément lorsqu’il devenait défaillant. Les capsules (2,3m x 3,8m x 2,1m) sont des modules détachables et remplaçables en préfabriqués, s’imbriquant entre eux.

Par ailleurs, ce sont souvent des constructions éphémères qui incorporent la modularité dans le système constructif : comme le Centre d’Hébergement d’Urgence par l’atelier Rita. Ce dernier, construit sur les anciennes usines des Eaux de Paris, est conçu par l’entreprise Ossabois avec des modules en bois. Chaque module est doté d’une surface d’environ 15 m² et, par leurs assemblages, adaptables aux différentes configurations familiales composées de trois à sept personnes dans une superficie de quarante-cinq m² au maximum. Aujourd’hui, le projet est voué à être déplacé sur un autre espace, afin de penser la reconversion urbaine du site.

Finalement, le recyclage des structures bâties se retrouve tant à l’échelle du matériau qu’à l’échelle de la ville : que ce soit dans le réemploi du matériaux (penser la matière recyclée et recyclable), de la transformation du bâti ou encore dans l’urbanisme avec l’acupuncture urbaine afin de penser une architecture durable dans sa globalité.  Ces différents systèmes de constructions permettent à la fois de répondre à des problématiques sociétales (accueil des personnes réfugiées et personnes sans-abris en répondant à la crise du logement), écologiques (minimiser l’empreinte carbone dans le secteur de la construction) et économiques (réduction des lourds coûts de rénovation ou de nouvelles constructions).

Sources :

https://www.saint-gobain.com/fr/magazine/batiment-reversible-batiment-modulaire-quelles-differences

https://www.paris.fr/pages/reinventer-paris-transformer-les-bureaux-en-logements-16677

https://novlaw.fr/construction-quest-ce-que-le-permis-dinnover/

https://canal-architecture.com/wp-content/uploads/2021/04/2017.04_Construire_Reversible.pdf

WASSIL AMIR

Architecte diplômé

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