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Réemploi et économie circulaire : les déchets des uns sont les ressources des autres

Louisa Frangeul Actualité Ghara

Face à une société de consommation et de production qui détruit la planète, un retour à la sobriété et au bon sens est devenu une priorité. Dans cette optique, le réemploi constitue un véritable pilier dans la lutte contre la production de déchets et permet de donner une seconde vie à des matériaux qui auraient habituellement fini à la poubelle. Répondant aux principes de l’économie circulaire, le réemploi propose un réel changement de paradigme au système actuel et permet une alternative écologique pertinente. En effet, il possède de nombreux avantages environnementaux, socio-économiques et culturels. Plutôt que d’extraire des matières premières et de les usiner pour construire, les projets intégrant le réemploi s’adaptent aux ressources déjà existantes.

Les principes majeurs du réemploi

De quoi parle-t-on exactement ?

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L’Économie circulaire propose de lutter contre le modèle de production linéaire qui s’est imposé ces dernières décennies : on extrait, on transforme, on utilise puis on jette. En plus de générer une quantité toujours plus importante de déchets qu’il devient difficile d’éliminer, de stocker ou de traiter, le modèle de production actuel provoque un épuisement des matières premières disponibles, une destruction des écosystèmes naturels et une forte émission de gaz à effets de serre.

Cette tendance est particulièrement visible dans le milieu du BTP qui est l’un des secteurs les plus pollueurs. Il génère à lui seul 224 millions de tonnes de déchets par an, soit plus de la moitié des déchets produis en France. Les bâtiments démolis constituent de véritables gisements de ressources jusqu’à aujourd’hui inexploitées.

Concernant la terminologie, il convient de différentier réemploi, réutilisation et recyclage. Ces termes, bien que similaires, ont une signification différente. Le réemploi, tel que défini dans le Code de l’Environnement, concerne toute matière ou produit qui est utilisé de nouveau avec le même usage, sans avoir été un déchet. Si le produit passe par le stade de déchet, on parle alors de réutilisation : par exemple s’il est jeté dans une déchetterie par son propriétaire. Dans les deux cas, il n’y pas (ou peu) de transformation. Enfin, le recyclage implique une transformation plus importante du produit, en plus de son changement d’usage.

L’inconvénient principal du recyclage est qu’il nécessite souvent un processus industriel, qui peut être énergivore. De plus, une perte de la performance physique et mécanique est observée lors de la transformation. Le réemploi, au contraire, permet de garder le matériau dans son état initial et limite son impact sur la planète. https://www.optigede.ademe.fr/

Une filière qui se dynamise toujours plus

Le concept de réemploi fait récemment surface dans le débat public, il existe pourtant depuis la naissance de l’architecture, et ce pour de nombreuses raisons : économies réalisées, ressource déjà présente et transformée, pièces rares ou nobles qui ont de la valeur, …. Cette habitude a commencé à disparaître avec la révolution industrielle, car non seulement les pratiques ont changé, mais aussi les techniques et matériaux sont de plus en plus transformés et complexes. Il est effectivement beaucoup plus facile de réemployer des briques et une charpente que du béton dans un bâtiment.

Ce qui est rassurant, c’est que le concept de réemploi et d’économie circulaire tant à se faire connaître de mieux en mieux par les acteurs du BTP et le grand public grâce à l’intérêt croissant pour la transition écologique. La filière se dynamise à l’échelle nationale et l’on peut observer une réelle avancée sur le développement et l’harmonisation des outils et méthodologies, ainsi qu’une augmentation des entreprises et acteurs spécialisés dans cette filière. Une avancée législative est aussi en cours, afin de faciliter la mise en œuvre des produits et matières issus du réemploi.

Un réel engouement se développe pour ce processus dans les divers corps de métier grâce à ses qualités pour l’environnement. De plus en plus d’acteurs sont reconnus pour leurs projets et leurs compétences, avec des spécialisations variées permettant d’intégrer le réemploi dans toutes les étapes du projet. Par exemple, des market places comme Backacia mettent à disposition les matériaux, des AMO comme Bellastock permettent de guider la maîtrise d’ouvrage, qu’elle soit publique ou privée. Enfin, les architectes et la maîtrise d’œuvre intègrent plus souvent l’économie circulaire dans leurs conceptions.

Les limites du réemploi

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Pour contrebalancer le point précédent, bien que la filière se dynamise, les préjugés et les méconnaissances restent assez courants et limitent la banalisation du réemploi. Le cadre normatif est en constante évolution, avec par exemple la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Il faudra donc attendre encore quelques années pour que le recours au réemploi devienne systématique.

Comme évoqué précédemment, un des inconvénients du réemploi est que certains matériaux ne peuvent pas être réemployés pour des raisons mécaniques, physiques et/ou chimiques. Par exemple, le béton est difficilement réemployable, contrairement aux structures en bois dont chaque élément peut être démonté et/ou remplacé facilement de manière indépendante. Cependant, cela peut jouer en la faveur de la mise en œuvre de matériaux peu transformés, comme les matériaux biosourcés, dans les futures constructions neuves. Actuellement, le réemploi concerne principalement le second œuvre : revêtement de sol, menuiseries intérieures. Les projets plus normalisés et standardisés sont donc mieux adaptés, comme des bureaux pour lesquels les normes sont similaires et permettent une réutilisation simplifiée.

La méthodologie pour réemployer un matériau ou un produit est nécessaire mais parfois contraignante : il doit être trié, démonté, transporté et stocké avec soin avant d’être remis en œuvre dans un nouveau bâtiment. Cela peut entraîner des problèmes de dégradation lors du transport ou d’usure pour un mauvais stockage. De plus, le matériau doit être retesté obligatoirement en laboratoire afin de s’assurer qu’il remplisse toujours ses fonctions de manière suffisante.

Et concrètement, ça donne quoi le réemploi ?

Le pavillon circulaire : l’exemple ludique

Cet édifice singulier, nommé « le pavillon circulaire » et réalisé à l’occasion de la COP21, n’est pas passé inaperçu sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Conçu par Encore Heureux Architectes, cette agence est reconnue pour d’autres projets à dimension sociale et écologique comme l’aménagement du tiers-lieu de la grande halle de Colombelles.

La façade a, en effet, de quoi interpeller les passants : elle est composée exclusivement de 180 portes issues de la réhabilitation d’un immeuble de logements dans un arrondissement voisin. L’agence d’architecture a poussé le concept au-delà du revêtement de façade : isolation, structure, revêtement de sol, murs, plafonds, éclairage et mobilier sont aussi des matériaux réemployés de projets divers. Ce pavillon démonstrateur accueille à l’intérieur un café et propose ponctuellement des évènements comme des débats ou des spectacles. Par son aspect original, le pavillon circulaire a réussi le pari de sensibiliser et d’intégrer le réemploi dans l’espace public.

http://encoreheureux.org/

Le Duomo de Pise : l’exemple historique

Le réemploi est une technique millénaire qui est particulièrement observée durant le Moyen-âge, grâce à l’abondance de main d’œuvre et la quantité de bâtiments détruits par la guerre ou les catastrophes naturelles. La majorité des églises et cathédrales de cette époque ont été construites avec les ruines d’anciens édifices, il était courant d’organiser des ventes publiques suite à la démolition d’un bâtiment.

Un exemple emblématique est le Duomo de Pise, construit au 11ème siècle pendant l’âge d’or de la ville. Les ornements des colonnes, des chapiteaux et des corniches proviennent d’autres monuments, le plus souvent antiques. Ces décors sont locaux pour la plupart, mais certains sont rapatriés suite à des conquêtes de territoire ou d’achats comme les chapiteaux provenant des thermes de Caracalla à Rome. Le matériau prend alors une valeur de mémoire culturelle et religieuse, il dépasse sa simple signification tangible.

Economie circulaire et bâtiment : le mot de la fin

Vous l’aurez compris, le réemploi propose de déconstruire plutôt que de démolir et de donner une seconde vie plutôt que de jeter. Loin de ne concerner que notre époque ou le domaine de la construction, l’économie circulaire redevient une évidence dans nos vies : ce qui existe déjà n’est plus à produire.

ARGANTAËL BEUCHERIE

Architecte diplômée d’état et certifiée Pro Paille