permeabilisation espaces publics

Perméabiliser les espaces publics (2/2)

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Après avoir appréhendé dans le dernier article les causes et les effets de l’imperméabilisation des sols, les deux projets évoqués dans ce reportage vont nous emmener du côté de Bastia en Corse et dans l’agglomération de Marseille, il n’y a plus qu’à vous laisser guider par la suite de la lecture.

Cap sur Bastia : à la reconquête des remparts !

A l’échelle architecturale : des matériaux issus du site de projet

C’est lors d’un road trip Corse que j’ai eu l’opportunité de découvrir in situ le projet du Mantinum, d’Antoine Dufour architectes et de Buzzo Spinelli architecture, agences toutes deux lauréates des AJAP[1] 2016. Si je vous évoque ce bel aménagement hors France métropolitaine mettant en œuvre des matériaux locaux et redonnant de la perméabilité à l’espace public, ce n’est pas dans le but de promouvoir les transports aériens qui sont, nous le savons tous, relativement polluants. Cela n’aurait pas grande cohérence au vu des enjeux environnementaux que nous défendons ici, c’est pourquoi je me suis rendue sur l’île de beauté en voilier[2] !

Mais pour revenir à l’aménagement dont je voulais vous décrire les qualités, il s’agit donc de la reconquête des remparts de Bastia. Ce projet avait pour ambition d’aménager les pentes accidentées du promontoire rocheux en reliant la citadelle au vieux port de la ville.

La volonté de la commune de Bastia était effectivement de requalifier l’ensemble de ce morceau de ville par l’implantation d’un « théâtre de verdure », faisant outil de liaison verticale entre vieux port et citadelle et d’une renaturation du jardin jouxtant la citadelle. Il s’agissait ainsi d’intégrer pleinement le bâti de la citadelle entre la nouvelle strate d’espaces publics et l’eau. De belvédères en plateformes, d’escaliers en rampes, de jardins en places, le projet démultiplie ainsi les espaces de contemplation et de déambulation, offrant aux usagers le choix de séquencer leurs parcours, alternant ouvertures sur l’horizon et perspectives sur la matérialité des parois ou la végétation.

© Célia Uhalde
© Antoine Dufour & Buzzo Spinelli architectes

La dimension architecturale s’exprime par la verticalité de l’ascenseur prenant la forme d’un mur de soutènement faisant la jonction entre ville haute et ville basse. En continuité avec la géométrie des murs de la citadelle, la matérialité est au cœur des intentions du projet. Une volonté des deux équipes d’architectes que d’extraire directement les granulats de la roche afin de produire un béton de site, une matière donc on ne peut plus locale. La mise en œuvre du béton devient alors artisanale et presque poétique par la superposition des strates mêlant teintes de gris, de beige ou ocres entre elles. Cela rappellerait presque l’esthétique visuelle que fabrique la succession des couches d’un mur en pisé. Ici, le béton, par ses aspérités et ses multiples teintes reflète ainsi le site et renvoie à l’identité des roches sur lesquelles s’appuie le projet. Les choix de matière révèlent ainsi les enjeux économiques et environnementaux, par l’absence d’importation ou de transport de la matière par exemple.


[1]Prix en architecture / paysage : Album des Jeunes Architectes et Paysagistes

[2]Sailccop est une société coopérative qui propose des traversées à la voile au grand public dans le but de décarbonner et de rendre accessible le voyage au plus grand nombre.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

La promenade paysagère, une gradation du minéral vers le végétal

A l’échelle urbaine, le projet se lit par une succession de surfaces liées par la topographie : emmarchements, cheminement couvert, plateformes, gradins, esplanade en belvédère etc.. Toutes ces typologies de sols sont supports d’usages à leurs manières. En dehors de l’accès vertical par l’ascenseur, les emmarchements proposés dessinent un véritable parcours à l’échelle architecturale.

Côté ville basse, depuis le port, le végétal prend peu à peu sa place au-dessus du béton de site marquant l’architecture du lieu. Le lierre s’affirme sur la matérialité tandis que celle-ci s’intègre aisément parmi l’écrin végétal que forme le jardin Romieu, accolé à la citadelle. En optant pour le parcours séquencé, les marches nous font arriver sur la scène en contrebas du gradinnage. Cette scène, minérale afin d’accueillir différents types de représentations culturelles et d’évènements, jouxte un triangle enherbé et planté. Cette dernière aurait peut-être méritée à être arborée de quelques arbustes en cépée voir de 2 ou 3 sujets haute tige permettant à la fois de conserver la qualité des vues sur le littoral tout en apportant quelques zones d’ombrage sur le temps de midi lors des fortes chaleurs d’été.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

La réflexion de projet a consisté à installer le théâtre de verdure sur la plus ample des terrasses disponibles. Ici comme dans les théâtres grecs, l’attention portée à la topographie et aux conditions de cadrage offre des points de vue à couper le souffle sur le port, le littoral côtier et par beau temps, les côtes italiennes. Dans la volonté de conserver ponctuellement des zones de pleine terre, les gradins ont été dessinés en deux parties : les gradins totalement minéraux et ceux enherbés. Tandis que nous retrouvons au sol la mise en œuvre du béton de site, les gradins enherbés dessinent une large bande plantée d’une soixantaine de cm, proposant ainsi deux revêtements d’assise.

Jouxtant les gradins, une terrasse d’angle autrefois jachère s’est métamorphosée en un belvédère aux multiples potentiels d’usages. On imagine qu’il puisse accueillir par exemple quelques spectateurs partagés entre leur intérêt pour la scène et les vues rêveuses que génèrent les horizons maritimes. La gestion du nivellement des différents sols s’avère minutieuse : volées d’escalier, murs de soutènement, terrasses et buttes de pleine terre conservées s’intègrent avec une certaine logique dans la composition générale.

Sur cet espace belvédère, dalles de béton s’entremêlent ainsi avec bandes enherbées et viennent créer un lieu oscillant entre minéral et végétal. La ponctuation de ce jeu linéaire de bandes de pleine terre permet sans aucun doute d’atténuer les effets d’îlot de chaleur urbain. Cela crée en effet un sol à grande tendance perméable. De plus, la plantation d’une strate arbustive moyenne, par la présence d’aromatiques notamment, vient compléter cette strate basse (l’herbe donc) et arborée environnante.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

La promenade du Fort Saint-Jean, un autre exemple de perméabilité des sols

Un projet paysager entre le Fort et le Mucem

L’aménagement de la promenade du Fort Saint-Jean aux abords du vieux port de Marseille est une autre illustration d’un projet mettant en avant une réflexion sur la perméabilité des sols. Implanté respectueusement dans l’intériorité du Fort Saint-Jean, cette promenade fait lien avec le MUCEM au travers d’une passerelle et s’organise autour d’un parcours à la fois sensoriel et didactique décrivant les cheminements multiples de l’intégration des plantes dans les paysages et les cultures.

Les passages et différents niveaux qui animent les lieux du fort se prêtent à une proximité immédiate pour le visiteur attentif ou le promeneur distrait. Ainsi, le projet permet de dépasser l’opposition entre plantes indigènes ou exotiques et invite à réfléchir sur les notions de perméabilité, de flux, de migration et d’évolution.

© agence APS

Un juste équilibre entre sols perméables et imperméables

Dans la logique des typologies de revêtements évoqués dans la première publication relative à la thématique de l’article, les sols oscillent ici entre minéral et végétal. Tantôt imperméables, tantôt perméables, certains des espaces de déambulation, de circulation de cette promenade ne se définissent par ailleurs pas aussi clairement.

C’est notamment le cas des Jardins de la colline (cf. 14 en plan masse) dont le pavage en pierre calcaire de ses cheminements laisse apparaître des linéaires enherbés dans l’espace des joints. Cette rampe-promenade monte depuis la place d’Armes (16) pour rejoindre la passerelle ou s’entremêler progressivement dans le végétal. Les terrasses, sorte de théâtre de verdure, constituent un atout majeur du Fort en offrant un espace généreux pour l’accueil du public ou l’organisation de spectacles et d’événements culturels en lien avec le Mucem ou la vie de la ville. Ce système de gradins est d’autre part à l’ombre du couvert végétal créé par le bosquet de chênes verts.

© Agence APS

Pour avoir arpenté les lieux, certains surfaces spécifiques de ce projet urbain et paysager répondent à leur échelle aux enjeux d’aujourd’hui et de demain quant au confort d’espace public. Par exemple, le traitement des sols en 3 sur le plan masse souligne par ses plantations sauvages un hommage à la flore de reconquête. Dans un cadre ruiniforme, il s’agit de redonner un statut aux rudérales, ces « mauvaises herbes » poussant spontanément dans les décombres, les friches, ou encore le long de chemins. Laisser le végétal reprendre le dessus sur cette zone permet de ne pas affaiblir la biodiversité et même au contraire de l’enrichir.

De même, le potager méditerranéen sur la zone 9 du plan masse, vient raconter l’épopée des légumes de Méditerranée, d’été comme hiver, entre légumes indigènes et exotiques, tous symboles de la cuisine «traditionnelle méditerranéenne ». Implanté à proximité des programmes de restauration, il se veut pédagogique et fonctionnel puisque ses légumes sont directement intégrés au menu du restaurant.

© Orlane Huitric
© Orlane Huitric

Au nord du Fort, l’aire de battage (13), visible depuis la passerelle, illustre également une surface complémentaire entre minéral et végétal. Il s’agit d’une placette pavée de manière rustique côtoyant une strate de végétation basse et sèche. A l’inverse, en vu de répondre à d’autres usages, la place d’Armes (16) est aligné sur le plan altimétrique et dessine un vaste espace volontairement sans végétation. Cela permet ainsi d’identifier et de rendre disponible ce lieu pour des évènements culturels comme l’installation d’une « scène » en contact direct avec les gradins paysagers.

© agence APS

Perméabilisation des espaces publics : Le mot de la fin

Expérimenter la diversité des espaces publics que nous avons évoqués dans les deux parties de cet article, qu’il s’agisse de Saint-Etienne, de Bastia ou encore de Marseille, permet de prendre d’autant plus conscience de la nécessité de concevoir des espaces qui s’adaptent au climat et qui explicitent un certain confort pour tous.

Jouer sur la complémentarité des typologies de sols en accolant des surfaces de pleine terre avec des surfaces imperméables, en préférant parfois des surfaces de stabilisé à des surfaces pavées, en pierre ou en béton, en jouxtant, en entremêlant des linéaires de végétal parmi le minéral sont autant de manière de perméabiliser les espaces publics tout en permettant une multiplicité d’usages et en luttant contre les effets des îlots de chaleur urbains.


ORLANE HUITRIC

Architecte D.E