Maisons en pierre

Construire aujourd’hui en pierre massive : l’exemple d’une mairie en centre-bourg

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

La pierre a beau être un matériau ancestral, combien de bâtiments contemporains en pierre de taille avez-vous l’habitude de côtoyer au quotidien ?

C’est lors d’une balade au sein du centre-bourg breton duquel je suis originaire que l’une des façades en pierre de la mairie d’Ergué-Gabéric, m’a interpellée. L’édifice était alors encore en fin de chantier et la période de confinement avait, comme partout ailleurs, mise toutes les filières du bâtiment à l’arrêt. La lumière de fin de journée mettait en valeur l’appareillage des blocs de granit qui se mariaient parfaitement avec le mélèze des menuiseries extérieures. C’est ainsi presque 3 ans plus tard, que je reviens sur ces lieux afin de mettre en parallèle la perception que m’avait évoqué cet édifice pour enrichir ce regard à la fois sur la dimension constructive et usuelle.

Comment construisons-nous en pierre aujourd’hui ? De quelle(s) manière(s) les usagers perçoivent-ils cette matérialité ?

Mairie d’Ergué-Gabéric (29) ©Orlane Huitric

A l’heure de l’épuisement annoncé de nombre de matières premières, parmi lesquelles le sable, composant indispensable du béton, nous sommes invités à repenser nos modes de construction actuels. Les matériaux pour concevoir de manière éco-responsable ne se cantonnent pas seulement à la construction bois, en terre, ou encore en paille. Si l’architecte Gilles Perraudin estime que la terre et la pierre sont de même nature du fait que la pierre subisse l’action de la pression et du temps et la terre celle de l’érosion liée au temps, la pierre s’affirme pleinement comme un matériau géosourcé.

Au regard des recherches pour trouver des matériaux plus économes et plus vertueux, les richesses géologiques de notre pays interpellent par ailleurs l’usage que nous avons de nos ressources. En effet, les couches géologiques du bassin sédimentaire parisien, le plus vaste de France, se caractérisent par la présence massive de calcaire, donnant ce que l’on considère comme la principale pierre à bâtir. Celle-ci, particulièrement adaptée à la construction pour ses qualités esthétiques et techniques, explique lé développement important de carrières du moyen-âge à la période haussmannienne.

Face aux enjeux du climat et au bilan carbone que représente le secteur du bâtiment, la construction en pierre offrirait ainsi une réponse locale, naturelle et fondée. L’économie d’énergie liée à sa mise en œuvre s’accorde en effet avec la proximité des gisements. Aussi, le matériau permet également de valoriser des compétences et des savoir-faire locaux. Valoriser la filière locale de la pierre semble ainsi une alternative durable, avec de plus, des capacités à se développer.

Construire aujourd’hui en pierre, vers un processus rationalisé

Après la Seconde Guerre mondiale, l’architecte français Fernand Pouillon conjugue construction en pierre et modernité en rationalisant le processus de fabrication et la mise en œuvre de ce matériau. Il assemble avec ordre et simplicité des blocs prétaillés aux dimensions standardisées pour construire, en plusieurs opérations de grande envergure, plus de 5 000 logements en Île-de-France. Ces archétypes architecturaux et urbains constituent pour des générations les références modernes de la construction en pierre.

Ensemble de logements à Meudon-la-Forêt. Architecte : Fernand Pouillon.
©Caroline Mazel

Aujourd’hui, au sein de tissus urbains plus contraints, des architectes explorent d’autres techniques tout en répondant aux ambitions environnementales contemporaines. Leurs réalisations en pierres porteuses, parfois semi-porteuses, exploitent la résistance à la compression du matériau et l’associent à d’autres matériaux aux meilleures propriétés mécaniques pour la flexion ou la traction. Ainsi, des mises en œuvre mixant pierre et béton permettent d’ouvrir de larges baies vers l’extérieur, des ossatures légères en bois complètent une façade en pierre afin de donner plus de hauteur au bâtiment. Dans chaque cas, les assemblages mixtes permettent d’innover afin de répondre à un programme et à des situations urbaines spécifiques.

Construire en pierre : avantages et inconvénients


L’architecte Elisabeth Polzella, œuvrant tout comme Gilles Perraudin, en faveur de la construction en pierre massive, met en avant 6 formes d’intelligence constructive de la pierre que sont l’intelligence urbaine, sociale, architecturale, de gestion des ressources, économique et enfin, énergétique. Elle en prône d’ailleurs les valeurs par le slogan « plus d’énergie grise pour moins de matière grise ».

Favoriser une cohérence urbaine

Dans le cadre d’un nouveau projet comme d’une réhabilitation, l’usage de la pierre permet d’harmoniser l’ensemble architectural à l’échelle urbaine et se combine sans difficultés avec d’autres matériaux de construction. Que ce soit par sa couleur, sa texture, ou sa structure, la diversité de la pierre naturelle est telle qu’elle a la capacité de s’intégrer partout sans dénaturer l’existant.

« On pointe souvent du doigt les constructions neuves comme n’étant pas très bien intégrées à l’existant. Avec la pierre naturelle, on peut unifier ces constructions avec les anciennes » affirme Elisabeth Polzella au Salon Rocalia en avril 2019.

Un véritable impact social

« Construire en pierre naturelle, c’est valoriser aussi bien ceux qui construisent que ceux qui habitent » selon Élisabeth Polzella.

Il y a en effet une réelle fierté à utiliser ce matériau dans un chantier et à vivre dans un tel bâtiment. La pierre naturelle s’inscrit également dans une économie circulaire et promeut les emplois locaux, non délocalisables, répondant ainsi à un enjeu de société fort.

Une plus grande liberté architecturale

Vous avez l’impression que construire en pierre, c’est figer un bâtiment dans le marbre ? Pourtant c’est totalement faux ! Un bâtiment en pierre naturelle a la capacité, s’il a été bien conçu en amont, de s’adapter très facilement. Ce qui en fait un défi d’autant plus intéressant pour les architectes !

« Si on ne peut pousser les murs, on peut faire évoluer l’usage d’une construction en pierre naturelle. À l’image des immeubles Haussmanniens, par exemple, que l’on peut couper en deux, en trois, transformer en bureaux, etc… » témoigne Elisabeth Polzella.

De plus, le fait de revenir à la construction en pierre implique une redistribution des rôles. L’architecte retrouve alors un rôle créatif dans la conception des murs en dessinant l’appareillage des pierres, avec la possibilité de se préoccuper de l’aspect structurel, rôle davantage dédié à l’ingénieur structure dans la construction en béton. C’est également l’opportunité de retrouver véritablement le goût du dessin en faveur des qualités spatiales : des murs en pierre, ce ne sont pas seulement deux traits parallèles et la pierre nous oblige à penser cette épaisseur.

Chai viticole dans le Gard. Architecte : Elisabeth Polzella.
©Serge Demailly

Durabilité et gestion des ressources

Contrairement à l’époque où tout se construisait en pierre massive, la plupart de nos bâtiments contemporains n’ont qu’une durée de vie de seulement 25 ans environ. Cela signifie que chaque génération sera confrontée à la décrépitude de ce que la précédente aura construit. C’est pourquoi la pierre naturelle n’est pas un choix anodin : au-delà de l’esthétisme, il s’agit surtout de privilégier la pérennité de chaque édifice.

En effet, le processus de construction très « circulaire » des blocs de pierre en fait un matériau durable. 90 % de la pierre seront réemployés pour de nouvelles constructions, 5 % seront recyclés pour d’autres usages et ce sont les derniers 5 % qui finiront en décharge contre seulement 25 % de recyclage en faveur du béton. L’impact environnemental de la pierre peut donc être largement amorti  en prenant en compte la longévité du bâtiment.

Opter pour la pierre naturelle, c’est aussi choisir un matériau qui consomme peu d’eau et pas de sable, deux ressources naturelles qui se raréfient sous le rythme effréné de l’activité humaine. Construire en pierre engendre moins de pollution par son circuit économique court, aucune énergie n’est requise pour la fabriquer puisqu’elle existe déjà à l’état brut, et ses déchets peuvent être aisément recyclés en graviers, remblais, etc… Par conséquent, les chantiers sont plus propres et moins générateurs de déchets.

Construire en pierre : un enjeu économique

maison en pierre

La pierre naturelle possède un autre grand avantage : c’est une ressource disponible et abondante, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. Les carrières de pierre tendre et de pierre dure sont nombreuses et si le projet est bien pensé en amont, ce matériau ne coûte finalement pas beaucoup plus cher qu’un autre. [1]

Ainsi, si les coûts d’investissement sont généralement plus élevés, ils sont rapidement compensés par la grande longévité des bâtiments en pierre massive, leur facilité d’entretien et leur faible besoin de maintenance. Par ailleurs, la pierre possède une excellente inertie thermique, ce qui permet de réaliser de véritables économies en matière de climatisation et de chauffage, une fois l’édifice en usage.


Un bilan énergétique plus faible

Comme le souligne l’architecte Elisabeth Polzella, « Aujourd’hui, on cherche à construire au plus vite, et c’est souvent au détriment de la qualité et de l’environnement. » Le secteur du bâtiment est ainsi devenu le plus énergivore, et représente la 2e activité en termes de rejet de CO² 1, juste après les transports.

Appréhender la valeur énergétique de la pierre porteuse dans le bâtiment implique d’analyser l’enveloppe séparément du reste de la structure, car seule la façade se construit de façon massive. La qualité première de cet appareillage réside dans l’immédiateté de sa mise en œuvre. La coupe, unique opération de transformation nécessaire de la pierre avant sa pose, est d’un point de vue énergétique incomparablement économe.

Nous considérons ci-dessous le cycle de vie de la pierre dans sa globalité, de l’extraction des matières premières à la transformation en produits de construction en passant par le transport des éléments, leur mise en place lors du chantier, leur remplacement ou entretien pendant la vie du bâtiment puis un jour, la déconstruction ou démolition, soit en récupérant les matériaux pour une nouvelle vie, soit en les évacuant vers des incinérateurs ou une décharge. Ainsi, pour la construction d’éléments de façades, la pierre permet de diminuer les émissions de CO² de 60% par rapport au béton, soit 18kg de CO² par m² de pierre contre 42g de CO² émis par m² de béton. [2] Aussi, sur un cycle de vie de cinquante ans, si la pierre dégage nettement moins de CO² que le béton mais davantage que le bois, la durabilité du matériau et sa capacité à résister aux épreuves du temps, permettront à long terme d’amortir son coût écologique.

L’autre intérêt d’une façade en pierre est qu’elle est se suffit à elle-même, évitant la nécessité de matériaux supplémentaires lors de la mise en œuvre qui alourdiraient le bilan énergétique comme cela peut être le cas d’un bardage, pare-pluie, pare-vapeur, ou d’une lasure etc…

Enfin, pour le confort des usagers, la pierre massive se caractérise par une inertie thermique importante, qui aide à éviter les surchauffes en été. Cette inertie est importante à la fois pour le confort des usagers qu’il s’agisse de logements, d’établissements recevant du public ou d’espaces extérieurs, dont le microclimat sera directement influencé par les matériaux de façade des bâtiments.


[1]«  salon-rocalia.com : « Rocalia, le salon de la pierre naturelle : pourquoi construire en pierre naturelle ? »

[2]«  Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau », Dossier de presse, Pavillon de l’Arsenal, 2018, p.12

L’exemple de la pierre au sein de la mairie des architectes Grignou Stephan

La mairie d’Ergué-Gabéric, dans le Sud-Finistère en Bretagne, s’implante dans un centre-bourg en actuelle transformation entre cœur historique et quartier d’habitat. « Nous avons conçu la mairie pour qu’elle soit un équipement accessible à tous et ouvert sur la ville. » affirme Michel Grignou, co-gérant de l’agence en charge du projet.

Depuis la place, la cour, entre jardin public et édifice, s’affirme comme un seuil d’arrivée à la mairie. Le projet réhabilite un des bâtiments existants en Maison de la Solidarité tandis que les pierres du bâtiment central, une fois démonté, sont réutilisées dans cette réhabilitation. L’équipe d’architectes, Michel Grignou accompagné de Juliette Corveller, ne sont en effet pas parti d’une page blanche : « deux vieux bâtiments de l’ancienne ferme Le Roux étaient à intégrer, qui deviendront Maison du patrimoine et Maison de la solidarité sur laquelle un foyer extérieur a été découvert qu’il nous faut mettre en valeur. » Comme ceux-ci le soulignent également, l’entité construite vient se dessiner en lien avec l’existant : « Les façades en pierre massive porteuse constituées de blocs de granit taillés au fil de perle de diamant, à la finition bouchardée finement, permettent de créer une continuité avec les éléments anciens présents sur le site. »

©Orlane Huitric

Alors que la salle du conseil et des mariages est largement ouverte sur la cour, ses terrasses et le jardin public, les espaces des services administratifs sont implantés le long de la façade en pierre de taille, de façon linéaire à la rue desservant la ZAC de logements. Le pignon Sud, fractionné en deux parties, évite un rapport trop frontal avec le volume de toiture de la longère existante occupée par l’actuelle Maison de la Solidarité.

La volonté architecturale des diverses matérialités traduit le parti-pris d’organiser spatialement les différents usages du bâtiment, entre pierre, bois et zinc. La salle du conseil est construite en ossature bois, permettant de filtrer la relation visuelle avec la cour par la trame vitrée des montants et allèges en bois. L’ensemble des menuiseries extérieures sont par ailleurs en mélèze tandis que les couvertures sont en zinc naturel et en ardoise.

L’entité administrative, construite en pierre massive, s’organise, elle, sur 3 niveaux. Les pierres de l’édifice sont issues d’un granit qui a été extrait et taillé à moins de 15km du chantier. L’agence Grignou Stephan affirme avoir « porté une attention particulière au patrimoine du bourg mais aussi à la matérialité des choses, au savoir-faire des professionnels et à l’origine des matériaux. Par exemple, les pierres de granit proviennent d’une carrière de Pluguffan et les huisseries en bois de la menuiserie Lautridou, de Plomelin. »

Ainsi, comme évoqué plus haut au travers de la parole de l’architecte Elisabeth Polzella, au-delà du choix structurel, architectural, énergétique, le choix de la pierre naturelle au sein de ce projet a permis de valoriser les emplois et le savoir-faire local. En prime d’un véritable gage de pérennité pour l’édifice, le projet a permis de mettre en avant une économie circulaire pour les communes de proximité.

Si certains élus de la Gauche de la commune d’Ergué-Gabéric auraient souhaité une approche plus écologique de l’édifice par « des panneaux solaires, un récupérateur d’eaux pluviales, la mutualisation du chauffage avec la médiathèque etc… », il reste essentiel pour les architectes de rappeler que le chantier n’a nécessité que très peu d’énergie grise, en privilégiant les entreprises et les ressources locales. Si le chauffage est au gaz, l’édifice, très bien isolé du fait des choix de matériaux, est peu énergivore, et bien moins que les locaux de l’ancienne mairie disséminés auparavant en 4 bâtiments distincts.

©Orlane Huitric
©Orlane Huitric

Une fois sur le site, recueillir la parole des usagers de l’édifice me semblait pertinent afin d’enrichir les propos de l’architecte. Alors que nous échangeons, une des salariée met en avant la complémentarité des matériaux et la qualité des espaces que produisent l’association entre pierre et bois. « Cela crée une atmosphère chaleureuse avec le bois à l’intérieur, on s’y sent bien». Sur le plan thermique, deux typologies d’espaces se dessinent : si la façade tramée et vitrée de la salle des conseils offre de véritables qualités visuelles par la présence de végétation formant la lisière du jardin public, c’est un espace qui peut facilement surchauffer l’été du fait de son orientation : «  avec les températures que nous avons eu durant l’été [l’été 2022], ce n’était pas agréable d’y rester trop longtemps. »

Cet espace ne sert cependant que ponctuellement, à l’inverse des bureaux administratifs du rez-de-chaussée qui, eux, accueillent du monde quotidiennement. Les personnes qui y travaillent présentes ce jour-là affirment qu’en « revanche, les bureaux sont confortables été comme hiver : la pierre conserve la chaleur l’hiver et son épaisseur nous protège des surchauffes l’été en nous gardant au frais. »

Ainsi, les qualités d’inertie de la pierre naturelle s’illustrent explicitement dans les usages du quotidien et participent grandement à la qualité du projet.

La filière pierre : un potentiel insoupçonné

Des ressources pour 7000 logements par an en pierre massive

L’étude menée par le Pavillon de l’Arsenal en 2018 confirme l’abondance de roche calcaire disponible dans les carrières du Bassin parisien. Les volumes d’extraction de pierre de taille relevés sont estimés à une moyenne de 63 000 m3 et un maximum de 92 000 m3 en blocs marchands par an pour l’ensemble des carrières concernées. Si l’on considère que la construction d’un logement nécessite environ 10 m3 de pierre, il serait alors possible de produire 6000 à 9000 logements en pierre massive chaque année. Rapportée aux ambitions générales du Schéma directeur de la région Île-de-France, la filière constructive « pierre » pourrait ainsi assurer environ 10 % de la production annuelle de logements souhaitée jusqu’en 2030. [3]


[3]«  Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau », Dossier de presse, Pavillon de l’Arsenal, 2018, p.35

Un matériau support d’enjeux : faire d’une pierre deux coups !

La pierre massive, vous l’aurez compris, est bien plus qu’un matériau traditionnel ! Sur le plan architectural, écologique quant à la gestion de nos ressources, social ou encore énergétique, ce matériau est support de véritables enjeux de société, surtout quand on prend conscience de la richesse géologique de nos territoires.

Chez Ghara, des formations aux matériaux bio ou géosourcés sont d’ores et déjà disponibles si par ailleurs cela vous tente de creuser le sujet ! Vous pourrez ainsi apprivoiser les techniques de la terre crue, du chanvre ou encore de la paille et si c’est l’aspect concret qui vous parle davantage, sachez que certains chantiers participatifs sont ouverts à tous.

ORLANE HUITRIC

Architecte D.E