Algues construction

Les algues et leur potentiel architectural

Louisa Frangeul Actualité Ghara

Connues pour être le refuge de poissons colorés, les algues marines souffrent aussi d’une image négative, s’échouant en quantité de plus en plus abondante sur les plages de Bretagne ou de Martinique. Face à ce constat et à la redécouverte de savoirs ancestraux, architectes et designers se penchent sur de nouvelles utilisations de cette ressource naturelle. Aisément transformables, les algues permettent d’obtenir un large panel de matériaux aux propriétés diverses. Quel est donc le potentiel des algues ? Comment peuvent-elles contribuer à la ville de demain ?

Les algues : des propriétés extraordinaires

Les algues sont des organismes vivants se développant en milieu aquatique, en eau douce ou marine. Tout comme les plantes terrestres, elles ont recours à la photosynthèse, transformant le dioxyde de carbone contenu dans l’air en oxygène. Cette assimilation étant dix fois plus efficace que les plantes terrestres, elles sont le plus grand puits de carbone du globe : 85 % du CO2 absorbé par les océans est assimilé par les algues et le plancton, soit environ 50 % du total terrestre (https://ocean-climate.org/sensibilisation/locean-origine-de-la-vie/). Elles existent, par ailleurs, sous des formes extrêmement variées, les chercheurs estimant aujourd’hui le nombre d’espèces entre 200 000 et plusieurs millions.

Présentes toute l’année dans les profondeurs marines, les algues s’échouent sur les plages entre l’hiver et le printemps où elles forment de petites boules de fibres appelées aegagropiles. Cette matière végétale, traitée comme un déchet solide, est alors généralement placée en décharge. Pourtant, ce matériau naturel abondant dans de nombreuses régions du monde dispose d’un large potentiel d’utilisation à développer.

Bioplastiques à base d’algues : une alternative au plastique

Dans un souci de réduction de l’utilisation de matières fossiles, chercheurs et designers expérimentent les propriétés physiques des algues afin d’obtenir divers types de bioplastiques. Contrairement aux autres bioplastiques issus de l’agriculture (betterave, canne à sucre…) celui à base d’algues présente l’avantage de ne pas empiéter sur les terres arables et permet également d’économiser de l’eau.

L’obtention du composant de base des bioplastiques nécessite un séchage, un broyage et un traitement chimique. Cette poudre d’algue est par la suite directement utilisée comme ingrédient ou par la suite fermentée. En fonction de leur malléabilité, ces dérivés d’algues peuvent servir de nombreux usages de la vie quotidienne : emballage, mobilier, vaisselle, textile…

Le travail de Margarita Talep s’inscrit dans cette mouvance. Après des années de recherches, la designeuse chilienne a mis au point une alternative aux emballages à usage unique, capables de se dégrader en deux à trois mois environ, en fonction de leur épaisseur et de la température du sol.

Aussi, le projet Algua de Samuel Tomatis présente de nombreuses recherches et expérimentations centrées autour de l’algue marine. Au-delà de divers contenants alimentaires, textiles, mobilier, matériaux de construction… Qu’il a pu développer, la chaise Alga est sans doute le projet le plus abouti. En effet, cette assise témoigne des qualités esthétiques et techniques des algues dont il met en valeur les propriétés gélifiantes. Chaque dérivé joue ainsi un rôle dans la structure composite de la chaise. Tous ces produits sont, par ailleurs, entièrement biodégradables. Grâce à ces innovations, Samuel Tomatis démontre le large potentiel des algues, une alternative intéressante qui pourrait un jour nous permettre de nous passer de plastique…

Culture d’algues en façade : une technologie dépolluante

Architectes, urbanistes et politiques tentent de mettre en place des solutions alternatives, alors que les villes font face à des pics de pollution à répétition. L’utilisation d’algues dans le but d’assainir les zones urbaines est aujourd’hui en cours de développement. Transformant le dioxyde de carbone présent dans l’air et libérant de l’oxygène elles pourraient contribuer à purifier les villes les plus viciées.

Le pari de l’agence XTU, et de ses partenaires (laboratoires, industriels et start-ups) est de concevoir de nouvelles technologies s’appuyant sur ce potentiel et ainsi de rendre les villes plus durables : champs d’algues verticaux sur les façades, valorisation des déchets urbains en chimie verte, capteurs solaires biologiques, routes en bitume à base d’algues…

Placés en façade, ces micros végétaux transforment le CO2 en oxygène et produisent des molécules complexes comme des protéines ou de la spiruline comestible. Ces bio façades multifonctionnelles peuvent ainsi être assimilées à des champs verticaux. Les microalgues sont cultivées entre deux parois de verre, présentant l’intérêt d’être isolantes, et faisant, par là même, office de tampon thermique. Le cabinet allemand Splitterwerk a développé ce principe encore plus loin, en concevant un immeuble de logement dont la façade, non seulement filtre l’air, mais produit aussi de l’électricité.

Le cabinet londonien Ecologicstudio a, quant à lui, développé une technologie de « rideaux urbains » permettant de filtrer l’air. Celui-ci optimise le processus naturel de photosynthèse, en captant environ un kilogramme de dioxyde de carbone par jour, soit l’équivalent de 20 grands arbres. L’agence souhaite intégrer ce type de rideau dans le cadre de réhabilitations ou de projets contemporains, afin de servir de pare-soleil.

Le prototype Photo.Synth.Etica est composé de 16 compartiments en bioplastique de deux mètres sur sept. Les tubes onduleux, contenant le précieux liquide vert, sont directement intégrés dans les panneaux optimisant la capture du carbone. L’air non filtré, pénètre dans le système par le bas, à mesure qu’il remonte à travers le liquide, les micro-algues capturent les molécules de dioxyde de carbone. L’oxygène produit lors de la photosynthèse est quant à lui expulsé par le haut de l’unité.

La biomasse produite par cette technologie est par ailleurs réemployable, les microalgues peuvent être transformées en toutes sortes de bio plastiques ou brulées pour produire de l’énergie. Enfin, le type d’algue utilisé par Ecologicstudio présente la caractéristique d’être bioluminescente, projetant une lumière émeraude, une fois la nuit tombée.

Les algues comme isolant naturel : redécouverte d’un savoir ancestral

Au-delà de leur utilisation dans des objets du quotidien ou en façade, les algues s’avèrent être un excellent isolant. Elles peuvent être utilisées sans additifs chimiques, et appliquées entre les chevrons de toits et contre les murs intérieurs (https://cordis.europa.eu/article/id/35568-insulating-buildings-with-seaweed/fr). Les fibres de la plante agissent tel un tampon, absorbant la vapeur d’eau et la relâchant, sans pour autant porter atteinte à sa capacité d’isolation. Avec une teneur en sel de 0,5 à 2 %, les aegagropiles sont un matériau d’isolation impérissable et quasi-ininflammable. Ces performances isolantes sont même 20 % supérieures à celles du bois, bon isolant thermique, lui-même près de huit fois plus efficace que le béton.

Traditionnellement, sur l’île de Læsø au Danemark, les algues sont utilisées comme un des matériaux principaux, servant à la fois d’isolant intérieur et extérieur. L’utilisation de cette ressource naturelle répond à la faible quantité de bois présente sur l’île. De façon empirique, la communauté de pêcheurs y résidant avait perçu ses propriétés isolantes remarquables. Jusqu’au XIXème siècle, l’île comptait plusieurs centaines de maisons entièrement bâties en algues. Celles-ci ont par la suite progressivement disparu, mais bénéficient aujourd’hui d’une mission de protection.

Ce savoir-faire connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, les maisons contemporaines sont construites avec des méthodes mixtes, alliant algues et ossature en bois, plus solide. Prélevées, comme à l’origine, sur les plages bordant l’île, elles sont par la suite séchées et compactées dans des filets. Ceux-ci sont insérés aux façades des maisons, ainsi qu’en toiture. Ce mode de construction s’avère particulièrement écologique, présentant un bilan carbone négatif : les gaz à effet de serre emprisonnés par les algues et le bois excèdent la quantité d’énergie totale nécessaire à la construction. Les performances thermiques et acoustiques exceptionnelles, réduisent aussi considérablement les dépenses énergétiques des résidents.

La Modern Seaweed House par l’agence danoise Vandkunsten illustre cette réinterprétation des méthodes traditionnelles de Læsø. Construite en 2012, sur un terrain accueillant d’ores et déjà une maison vernaculaire, il s’agit une construction expérimentale déclinant différentes utilisations des algues marines. Celles-ci ont été utilisées en isolation intérieure, en façade, mais aussi en toiture.

Les éléments structurels, sols, et revêtements intérieurs sont quant à eux en bois: mélèze, pin et épicéa. Les architectes ont fait le choix de cette uniformité afin de souligner les éléments conçus à base d’algues. Le recours à la préfabrication d’éléments de construction a, par ailleurs, permis de baisser le coût de la construction. Une attention particulière a été portée à l’analyse du cycle de vie du bâtiment, une grande partie de la maison étant démontable afin de favoriser le réemploi. Un projet particulièrement raisonné et connecté à son environnement.

En France, l’utilisation d’algues dans des objets du quotidien, éléments d’enveloppe ou en tant qu’isolant n’est pas encore répandue. Il semblerait que le secteur n’en soit actuellement qu’à ses balbutiements. Pourtant face à leur amoncellement observable sur certaines plages, et compte tenu de leurs propriétés exceptionnelles, l’utilisation d’algues marines semble tout à fait pertinente pour répondre aux enjeux climatiques actuels. Convaincus par leurs performances ?

À nous de développer cette nouvelle filière !

Sources

https://www.domofinance.com/actualites/materiaux/les-algues-un-nouvel-ecomateriau-pour-la-construction

https://ideat.thegoodhub.com/2019/07/29/tendances-2019-les-algues-le-materiau-de-demain/

https://www.ecologicstudio.com/projects/photo-synth-etica

https://ideat.thegoodhub.com/2021/06/30/portrait-samuel-tomatis-le-designer-qui-dompta-les-algues/

https://cordis.europa.eu/article/id/35568-insulating-buildings-with-seaweed/fr

https://cordis.europa.eu/article/id/170424-seaweed-a-sustainable-source-of-bioplastics/fr

https://www.pavillon-arsenal.com/data/expositions_fbcdd/fiche/8606/pav_272_cp_fe304.pdf

https://vandkunsten.com/en/projects/seaweedhouse

https://www.dezeen.com/2018/12/10/ecologicstudio-algae-curtain-photo-synth-etica/

Raphaelle De Priester

RAPHAËLLE DE PRIESTER

Etudiante en architecture