Immersion dans la création d’une recyclerie
C’est en 2018, à proximité du centre-ville Marseillais, du côté du 12ème arrondissement qu’est né le Talus. Un terrain en friche initialement utilisé pour la création de l’autoroute (L2) et dégradé par les déchets de construction laissés sur le site. Après un gros travail participatif de nettoyage et de régénération du sol, les 2800m2 de terres ce sont transformé en ferme urbaine et accueillent aujourd’hui une grande variété d’activités et d’évènements portants des valeurs sociales et écologique profonde.

J’ai eu l’occasion d’y réaliser un Service Civique de février à septembre 2022 dans le pôle : « Promouvoir le réemploi de matériaux et l’économie circulaire à l’atelier Recyclerie du Talus ».
Le Talus est spécialisé dans le maraîchage sur sol vivant, mais il propose également d’autres activités telles que des évènements culturels, la cuisine, la pédagogie et le bricolage. Une fois que le projet de jardin est bien établi, une nouvelle parcelle adjacente a été mise à la disposition de l’association pour une durée de 5 ans, renouvelable, qui a été transformé en « village » du Talus. Ce terrain, d’une superficie d’environ 5000m2, est équipé de 13 conteneurs et de deux grandes tentes berbères.
Julia Laporte, l’une des premières employées du Talus, décide de lancer un projet de Recyclerie. Il s’agit d’un laboratoire et d’un support pédagogique axé sur le réemploi, l’auto-construction et les low-techs.

La question du réemploi est aujourd’hui au cœur des préoccupations pour les acteurs de la construction. Le secteur du bâtiment génère une quantité considérable de déchets et a un impact significatif sur l’environnement. À lui seul, il représente 70% des déchets produits en France (source : Ademe, 2021). Avec un total de 42 millions de tonnes de déchets annuels, les travaux publics contribuent à hauteur de 81% avec un taux de revalorisation de 63%, tandis que le secteur du bâtiment représente 19% avec un taux de revalorisation de 46%. Il reste donc encore beaucoup de déchets à gérer et beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine.
Réemploi et recyclage : règlementation
Aujourd’hui, de nombreuses règles et réglementations sont en place pour encadrer le réemploi et le recyclage des matériaux dans la construction. Ces règles visent à promouvoir une économie circulaire et à réduire l’impact environnemental du secteur du bâtiment. Voici quelques-unes des principales règles en vigueur :
1. La réglementation sur la gestion des déchets de chantier : En France, la réglementation impose la mise en place de plans de gestion des déchets de chantier (PGDC) pour les projets de construction.
2. Les certifications environnementales des bâtiments : Les certifications environnementales telles que le label BBCA (Bâtiment Bas Carbone) ou la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) intègrent des critères liés à la gestion des déchets de chantier et au réemploi des matériaux.
3. La norme NF EN 15804+A2 : Cette norme européenne définit les règles pour l’évaluation environnementale des bâtiments. Elle inclut des critères relatifs au réemploi des matériaux, à leur recyclabilité et à leur contenu en matières premières.
4. Les filières de recyclage et de réemploi : Des filières spécifiques de collecte, de tri et de recyclage des déchets de construction ont été développées.
5. Les incitations financières : Certaines régions ou municipalités proposent des subventions ou des avantages fiscaux pour encourager les pratiques de réemploi et de recyclage des matériaux dans la construction.
Ces règles et réglementations témoignent de la volonté croissante de favoriser le réemploi et le recyclage des matériaux dans le domaine de la construction, contribuant ainsi à une gestion plus responsable des ressources et à la réduction des déchets.
En plus de ces nouvelles normes, des initiatives comme la recyclerie du Talus émergent dans nos villes. La-bas, en plus de promouvoir le réemploi des matériaux, il est également important de transmettre les savoir-faire dans le domaine du bricolage et de l’auto-construction. En effet, être capable de réparer des choses chez soi, de savoir fabriquer un bac à fleur, monter une étagère ou d’autres petites choses quotidiennes offre des avantages économiques et renforce la confiance en soi.
Avant mon arrivée, les mois précédents ont été consacrés au montage d’un atelier dans un conteneur de 28m2. Ce projet a été financé par une subvention qui a permis l’achat de machines à bois et à métal, ainsi que d’outils.

Les activités de la recyclerie
En ce qui concerne les matériaux, notre programme comprenait la récupération de matériaux, des partenariats avec des ateliers et artisans, la remise en état des matériaux et la tenue d’un inventaire. En ce qui concerne les chantiers participatifs, nous organisions des chantiers participatifs les mercredis pour créer et réparer des équipements du Talus (machine à pédale, poubelles de tri, bardage bois, meubles de cuisine, scène, supports de signalétique…). Nous proposons également des ateliers en collaboration avec des structures sociales, par exemple avec des jeunes en décrochage scolaire, en partenariat avec l’association l’addap 13.


Nous avons donc expérimenté ces différentes activités pendant plusieurs mois, et j’ai remarqué un certain nombre de points qui me semblent importants à relever :
1. La force humaine nécessaire. Nous étions généralement deux personnes la plupart du temps, ce qui était déjà bien car il est difficile de travailler seul dans le domaine de la construction, ne serait-ce que pour manipuler des objets et assurer la sécurité. Cependant, lors des chantiers participatifs, nous étions souvent une dizaine de personnes, ce qui permettait d’avancer rapidement sur les projets de construction. Le reste du temps était principalement consacré à la remise en état des matériaux, tels que retirer les vis, démonter des meubles ou des palettes, et trier les éléments. Ces tâches demandaient beaucoup de temps, tout comme le stockage et la tenue de l’inventaire. Nous souhaitions faire les choses correctement afin de quantifier notre travail, nous prenions donc des mesures, pesions et triions tout ce que nous récupérions, ce qui pouvait parfois occuper une journée entière pour l’inventaire des matériaux récupérés.
2. L’irrégularité des collectes de matériaux. En général, les menuiseries environnantes étaient ravies de nous donner leurs chutes de bois. Cependant, il s’agissait souvent de petites chutes complexes à réutiliser ou de bois aggloméré non adapté à une utilisation en extérieur, ce qui finissait par s’accumuler dans notre stock. Ce qui était intéressant dans cette situation, c’était justement de trouver des façons créatives de réutiliser ces chutes. Par exemple, nous avons utilisé de petites chutes de planches en bois pour barder un conteneur du côté sud afin d’éviter la surchauffe de l’atelier. Nous avons également eu la chance de récupérer 40m2 de bois exotique en parfait état, car une menuiserie n’avait pas la place de le stocker après l’avoir récupéré d’un chantier. Nous en avons fait une belle terrasse sur les conteneurs !



3. La difficulté de récupérer certains matériaux. Principalement le métal, car il peut être recyclé indéfiniment et il est déjà largement récupéré par les ferrailleurs. De même, pour toute la visserie, il est assez simple de récupérer des vis ou des clous déjà utilisés sur des meubles ou des palettes, par exemple, mais cela demande un temps de travail considérable pour tout récupérer. C’est pourquoi les vis, les clous, les équerres (…) sont les éléments qui nous coutaient généralement le plus d’argent dans les constructions.
4. L’inversion du processus de conception. Dans le réemploi, l’inversion du processus de conception est ma partie préférée. Contrairement aux études d’architecture traditionnelles où l’on conçoit d’abord la forme, puis on choisit les matériaux, dans le réemploi, on construit en utilisant ce que l’on a à disposition, ce qui influence grandement la forme de l’ouvrage. C’est une approche créative qui peut être assez complexe et demande un long temps de réflexion. Il est bien entendu également possible de concevoir la forme puis récupérer les matériaux nécessaires, cependant ce temps de récupération sera plus complexe car on ne trouve pas toujours ce que l’on cherche. Cela donne place à une forme de spontanéité dans la conception.
Avant cette expérience, j’étais déjà fascinée par le potentiel du réemploi. La quantité de matériaux jetés, qui pourraient facilement être récupérés, m’interpellait, d’autant plus avec l’inflation constante dans le secteur de la construction. Je nourrissais donc un fort désir d’expérimenter le réemploi, la réutilisation et le recyclage des matériaux dans ma pratique architecturale. Ce service civique m’a permis de réaliser que cela était réalisable, malgré le temps et l’énergie nécessaires. Aujourd’hui, il existe également des structures intermédiaires intéressantes, comme RA EDIFICARE à Marseille, qui se consacrent à la déconstruction de bâtiments et à la remise en circulation de matériaux à des prix abordables.
L’Atelier Recyclerie du Talus : le mot de la fin
En conclusion, l’atelier Recyclerie du Talus illustre une transition vers une économie circulaire et durable. Il démontre que le réemploi des matériaux et l’économie circulaire sont des solutions viables pour réduire les déchets et préserver l’environnement. Grâce à l’engagement des bénévoles, des employés et des partenaires, des centaines voire des milliers de kg de matériaux ont étés réemployées et des personnes de divers horizons ont découvert de nouveaux savoir-faire.

JULIETTE BOUCHEND’HOMME
Architecte D.E