batiment et construction circuit court

Circuits courts des matériaux 1/2

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Ou comment développer une pensée systémique du local

Penser l’architecture par l’utilisation de matériaux bio et géo-sourcé c’est déjà se diriger vers une pensée de l’écologie et de l’éco-construction.

Mais si le matériau, aussi biosourcé ou géosurcé qu’il puisse être, provient de l’autre côté de la planète et qu’il a été transformé une dizaine de fois avant d’être acheminé sur le chantier et être utilisé, il n’est écologique d’aucune façon. L’éco-construction s’accompagne d’une pensée systémique. Chaque étape du processus de projet a son importance dans la construction jusqu’à savoir d’où proviennent les matériaux que l’on utilise. Mais la localité d’une denrée n’est pas le seul paramètre à prendre en compte lorsque l’on veut avoir un rapport de proximité avec son territoire. Un produit peut facilement être local, sans pour autant être écologique car il va faire le tour du monde avant de revenir dans son pays de provenance. Etre local, c’est aussi limiter le nombre d’intermédiaires entre l’extraction de la matière, et sa vente ou bien sa mise en oeuvre en tant que matériau. On appelle ce système les circuits courts.

Matériaux en circuit court : définition

Diagramme des circuits courts par Pauline GALLARDO

Les circuits courts sont très développés dans le domaine de l’alimentaire grâce à une volonté des consommateurs d’être au plus proches de ce qu’ils mangent et grâce à un réel intérêt à connaitre la provenance des aliments qu’ils ont dans leur assiette. Les producteurs pensent de même, beaucoup souhaitent être au plus proche des consommateurs et être transparents avec eux sur leurs modes de travail. Certains privilégient donc la vente directe, dans les marchés de proximité ou encore en passant par l’intermédiaire de distribution tels que les magasins bio ou les restaurations locales. Mais ce système a des limites qui sont difficiles à écarter et cela concerne la transformation des produits. Prenons un exemple : Un producteur et vendeur de lait de chèvre peut en vente directe, vendre son produit tel quel. Mais s’il n’a pas le savoir-faire nécessaire pour transformer lui-même son produit (en fromage par exemple), il va devoir passer par d’autres intermédiaires qui le feront à sa place et qui revendront ensuite le produit transformé, en passant soit par la vente directe, soit par des redistributions ce qui augmente le nombre d’intermédiaires à au moins 2, et n’entre plus alors dans la politique des CCA (Circuits Courts Alimentaires). Dans ce cas, il existe les CCP (Circuits Courts de Proximité) qui ne limitent pas le nombre d’intermédiaire mais en revanche la distance parcourue par le produit, ne doit pas excéder les 150km à la ronde. Pour être en circuit court, il faut le savoir-faire nécessaire et être à proximité.

C’est pareil pour les circuits courts des matériaux.

Depuis le début de mes études, je m’attache beaucoup à cette notion de proximité des matériaux car je ne me vois pas envisager de penser le projet d’architecture sans traiter de cette question de provenance et de localité. A mes yeux les deux vont de pair. Il est facile de porter un discours qui prône l’ancrage d’un projet dans son territoire, de respect des us et coutumes propres à une région sans vraiment se soucier ce qu’implique réellement la notion de localité. Mais si l’on s’amuse à gratter la surface et ancrer d’avantage son discours dans le réel, on peut découvrir des facettes du projet bien plus profondes et intéressantes et à terme, légitimer son discours sur le local. Parler de local et de proximité, c’est englober toutes les valeurs du projet qui peuvent s’en rattacher. Pour faire l’exemple, je vais proposer un petit jeu.

Imaginez comment nous pourrions construire un projet d’architecture, si nous ne devions travailler que dans un rayon de 100km autour de celui-ci (sachant tout de même que c’est une distance difficile à envisager pour un projet d’architecture).

Dans une réponse très personnelle, je vais m’atteler à répondre à cette question ci-dessous.

Etape 1 : Connaitre le territoire du projet

Première étape : Connaitre le territoire du projet

Personnellement, je commencerais par m’intéresser aux données géographiques, climatiques et spatiales du grand territoire (reliefs, hygrométrie, géologie, caractéristiques singulières ou endémiques, forêts). Ensuite, je travaillerais à comprendre l’évolution de l’établissement humain dans ces territoires en étudiant son histoire (apparition des villages, lotissements, étalement urbain, logiques agricoles, forêts plantées, etc…). Puis je continuerais en changeant d’échelle et en « zoomant » sur le lieu qui m’intéresse pour mon projet, puis les alentours de son site d’implantation. Certainement que j’effectuerais quelques enquêtes auprès des habitants du quartier, village, ville et resserrerais mon enquête sur les activités locales et les habitudes (marchés, évènements récurrents, spécialités culinaires, savoir-faire artistiques et techniques propres au territoire proche). Je retournerais sur une échelle un peu plus globale en faisant un état des lieux de la ressource disponible sur le territoire, en me posant les bonnes questions : De quoi aurais-je éventuellement besoin ? Puis-je construire mon projet à partir de ce que j’ai recueilli ?

Puis c’est imprégné de tout ce savoir, que je nourris tout au long de mon processus de projet, que je commence à réfléchir à ce que je peux faire avec ce que j’ai. Et il n’y a aucun doute qu’un très grand nombre de possibilité s’offre à moi puisque chaque territoire possède un très grand nombre de richesses, qui deviendront les forces du projet. L’objectif n’étant pas d’être à 100% local, car c’est une entreprise très longue et qui pourrait remettre en cause la faisabilité du projet, mais de se soucier de l’impact réel environnemental que peut avoir ce projet sur son environnement. L’objectif, c’est d’être le plus local possible.

Etape 2 : La conception

Dans cette étape, je réutiliserais tout ce que j’aurais pu apprendre jusque là, pour imaginer un projet qui ressemble à ses habitants, qui fait sens par rapport à tout ce que j’ai appris de ce territoire, et qui s’ancre dans le local. C’est là qu’entrerait en jeu la matérialité du projet. Comment choisir ses matériaux, la matière qui va s’ériger pour former un édifice ? Puisque j’aurais fait un état des lieux des ressources, je serais au fait des multitudes possibilités qui s’offriraient à moi pour répondre à la question du local. Si je ne disposais que d’un rayon de 100km autour de l’emplacement de mon projet, je n’aurais d’autre choix que d’avoir recours à un circuit court ou ce qu’on appelle un Circuit Court de Proximité (qui ne dépasse pas un périmètre de 150km).


Les circuits courts des matériaux, comme les circuits courts alimentaires, peuvent se présenter de plusieurs manières différentes. Pour l’alimentaire par exemple, il se présente sous forme de CCA (Circuit Court Alimentaire n’excédant pas 1 intermédiaire) ou de CCP (Circuit Court de Proximité ne dépassant pas les 100km mais autorise plus d’intermédiaires). Généralement les circuits courts dans les matériaux s’apparenteraient plutôt à des circuits de proximité, car un circuit court par nombre d’intermédiaires demanderait à ce qu’il y ait un savoir faire sur place et qu’il y ait très de transformation de la matière ce qui avec certains matériaux, s’avère très compliqué si ce n’est impossible.

  • Le circuit le plus court que l’on puisse trouver, est celui où la matière est extraite, puis directement acheminée sur le chantier. Elle est ensuite transformée sur place par des professionnels qui connaissent les savoir faire locaux. Là est sa limite : Elle ne peut avoir recours que si des professionnels sont sur place et s’il y a peu de transformation de la matière.
  • Il peut y avoir également le circuit qui n’implique qu’un seul intermédiaire entre l’extraction et la mise en œuvre. De cette façon la matière est extraite et envoyée dans un atelier qui la transforme en direct (par le même organisme qui l’a extraite pour ne garder qu’un intermédiaire), puis les matériaux sont récupérés par le client pour son chantier. Cela peut fonctionner pour les matériaux qui doivent être façonnés ou qui se suffisent à eux même.
  • Pour les matériaux qui doivent être cuits ou qui sont issus de mélanges de matières (ouate de cellulose à base de recyclage de papier par exemple), il ne peut y avoir moins d’un intermédiaire. Là c’est le rapport de proximité qui prime. Par exemple pour un enduit terre/ paille, il faut s’assurer que la terre, le sable et la paille proviennent de lieu d’extraction alentours. Mais le mélange est simple et possible à faire directement sur le chantier. Pour les matériaux qui nécessitent une transformation plus complexe comme la ouate de cellulose, il va falloir se soucier du lieu de transformation de la matière. D’où provient-elle, où est-elle transformée et où est-elle stockée avant d’être acheminée sur le chantier ? Si l’une des étapes n’entre pas dans le paramètre de proximité, peut-être faut-il trouver une technique
    d’isolation plus locale. De la laine de mouton ? Ou bien du liège par exemple si l’on se trouve dans des forêts de chêne-liège.

Matériaux en circuit court : 3 exemples

LA PIERRE

La présence de tailleurs de pierre est requise directement sur le chantier. C’est assez courant dans les chantiers du patrimoine, de rénovation. La pierre est extraite de la carrière la plus proche, ou peut même provenir du terrain même suivant ce qui est recherché, puis elle est taillée sur place et mise en œuvre ensuite. Le prochain article sera dédié aux circuits courts dans des exemples bien concrets de mon expérience ou que j’ai étudiés.

Tailleur de pierre exerçant sur place
Pierres récupérées et taillées.

LE BOIS

De la même façon que la pierre, sur le circuit le plus court, il peut être extrait du terrain à l’aide de ce que l’on appelle une scierie mobile. La scierie mobile comme son nom l’indique, se déplace et peut à la fois couper les arbres et les transformer sur place en préparant les planches qui seront utilisées sur le chantier. C’est un procédé assez particulier qui n’est pas le plus utilisé. Le plus courant sont les scieries classiques qui coupent le bois, le stockent et le transforment sur place à la scierie. Ce bois est ensuite soit livré sur le chantier, soit récupéré par le client pour être mis en œuvre sur le chantier. Pour les ouvrages spécifiques, de menuiserie, il faut multiplier le nombre de métiers du savoir-faire. Pour respecter la règle du circuit court, il faut se fier à la proximité et ne pas excéder les 150 km.

Scierie locale : stocke et transforme.
Bois acheminé sur chantier.

LES FIBRES VÉGÉTALES

Certaines fibres végétales peuvent être transformées directement sur le chantier, selon le type d’ouvrage et les fibres utilisées. Par exemple, pour les claustra et les petits ouvrages de panneaux en fibre végétale (bambou, canne de Provence, canne, etc…), il est facile de transformer la ressource sur place, avec un savoir-faire du tressage nécessaire, ou de passer par un atelier local qui extrait la matière sur ses terrains et s’attelle au tressage elle-même. Ces techniques permettent à la fois de valoriser les circuits courts et à la fois de mettre en avant des savoir-faire ancestraux qui se perdent dans une société où tout est accéléré.

Extraction de Canne de Provence.
Ouvrage tressé à la main sur place.

En conclusion, pour chaque matériau il existe des possibilités infinies de circuits courts qui peuvent limiter les impacts sur l’environnement. Il suffit de connaitre le territoire et de l’appréhender au mieux pour en faire une richesse pour le projet. J’ai personnellement parcouru quelques chantiers qui faisaient appel à des circuits courts pour les matériaux. Je partagerai ces expériences à travers un autre article qui fera office de suite à celui-ci.

PAULINE GALLARDO

Architecte D.E