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Construire autrement,

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Patrick Bouchain, sa vision de l’architecture.

Il y a des individus qui marquent leur temps, tout simplement parce qu’ils ont un regard décalé sur celui-ci, une vision différente des choses et sur ce qu’elles pourraient être. C’est le cas de Patrick Bouchain qui n’a jamais voulu faire comme les autres. Construire autrement, c’est avant tout penser autrement. Il a accepté de nous livrer dans cet entretien exclusif pour Ghara, un peu de son histoire.

Jeune architecte et diplômée depuis peu, c’est incroyable me dis-je. Ce matin je vais échanger avec Patrick Bouchain, remarquable et remarqué pour ses projets qui font lien avec et pour, ce et ceux qui nous entoure. J’avais hâte de vous transmettre ce qu’il m’a été dit : ce personnage inspirant pourrait vous faire changer votre perception sur nos espaces.

Comment le présenter ? Depuis mai 1945, le parisien n’a jamais dû arrêter d’être curieux et c’est sûrement pour cela qu’aujourd’hui il est si difficile de faire la liste de tous les rôles qu’il a endossé. Parmi ceux-là, il est professeur, conseiller, architecte, urbaniste, scénographe, écrivain, fondateur de l’atelier d’architecture Construire et militant. Je ne crois pas que Patrick Bouchain ait un métier : il a une vie qu’il a rempli de rencontres et de projets.

Connaissez-vous, le Théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers (1989), la Grange au lac à Evian, le théâtre du Radeau au Mans, le cabaret-volière du cirque Dromesko, la transformation des usines Lu et la création du Lieu Unique à Nantes (1999) ou encore Le Plus Petit Cirque du monde à Bagneux (2015) ? Les réhabilitations où Patrick Bouchain s’investit s’installent dans l’existant. Il (re)construit pour une communauté et c’est là que se trouve son originalité, il fait « pour et avec ».

Voici en quatre points ce que j’ai retenu de ma conversation avec cet humaniste atypique :

1 – Construire pour ses valeurs, sans compétition.

Cela paraît logique et c’est pourtant c’est le tout premier conseil qu’il nous confesse. Il ne faut pas se comparer et faire ce qui nous tient à cœur. Il avoue : « Je ne voulais pas avoir un métier, un nom ou un titre. Je voulais produire des choses. Je n’ai pas choisi d’être architecte ou urbaniste, c’est ce que j’aimais et ce que je voulais faire qui m’a guidé dans mes choix. La vie ce n’est pas une ligne droite. Tu penses que tu vas aller là et puis, tu rencontres des obstacles et ils peuvent te faire changer de trajectoires. Le plus important c’est de rester ouvert à ce que tu trouves. »

Suivre son instinct, être à son écoute et rechercher ce qui nous permet d’évoluer, c’est il me semble les clés qui ont permis à Patrick Bouchain d’avoir sa force d’esprit et son excentricité. Son aversion pour la compétition le pousse à toujours sortir des clous et cela dès son plus âge. Il nous raconte : « Je n’ai jamais voulu être comparé. J’ai toujours été un enfant heureux. Quand je suis rentré à l’école j’ai vécu deux chocs. J’ai rencontré d’autres enfants, ce que j’ai adoré : j’étais très heureux avec ma famille et aussi très heureux de la quitter tous les matins pour me socialiser. L’école est faite pour ça ! Et puis j’ai souffert, parce que l’on nous a classé, on nous a mis en compétition les uns avec les autres, avec des notes, déjà. J’aimais apprendre mais je détestais la comparaison, ça m’a rendu très vite malheureux. Mon père après avoir discuté avec les instituteurs de l’établissement a obtenu que je sorte du système de notation. Ça a permis d’enrichir ma personnalité, de me concentrer sur mes compétences et comment je pouvais m’améliorer. J’étais parmi les autres, sans les autres et j’ai décidé de faire comme ça toute ma vie ! J’avais envie d’apprendre pour moi. »

Il affirme : « J’ai fait de l’éco-construction, sans le savoir, parce que j’avais décidé de faire ce que les architectes ne faisaient pas. Je n’aime pas la compétition, je n’aime pas me battre, je n’aime pas gagner, je n’ai rien à prouver. Alors, je me suis lancé sur un terrain vierge et je ne concours avec personne. Je ne fais pas contre mais avec, avec ce que je suis et ce que je sens être bon pour moi et pour les autres. Par exemple, tout le monde veut un pull rouge. Alors ils vont tous trouver un pull rouge, jusqu’au jour où il n’y a plus de pull rouge. Celui qui n’a pas eu son pull rouge, il a un sentiment de regret. De mon côté, j’avais décidé de porter un pull jaune. »

Crédit Photo : Freepix

Vouloir se démarquer et sortir du moule c’est un exercice quotidien. Peu importe ce qu’il fait et l’originalité des projets pour lesquels il travaille, il explique toujours devoir s’interposé face aux idéologies et la modélisation. Il nous prévient : « On va tout le temps chercher à te placer dans une case, à te donner des définitions. Il faut faire très attention à ne pas être modélisé. Sinon, ce n’est plus la liberté. Je veille constamment à sortir de la norme. Si tu rentres dans une catégorie, ça devient concurrentiel, et ça m’empêcherait d’être moi-même, en pleine capacité de mes actes et de ma pensée. C’est un réel effort d’entreprendre de construire selon ses valeurs. Mais surtout, c’est un plaisir engagé et animé pour ton travail en accord avec toi-même et ton temps. »

2 – Construire ensemble, pour l’humain.

S’il y a bien un mot pour décrire Patrick Bouchain, je dirais volontiers de lui qu’il est Humain. Pendant qu’il conte ses anecdotes je ne peux m’empêcher de rêvasser sa vie. Il pourrait être ce caractère idéaliste des films semi-réalistes qui répète à chaque épreuve, il n’y a pas de problèmes mais que des solutions. Il semble vivre une grande aventure où les personnes qu’il approche l’autorise à expérimenter, apprendre et construire. Construire autrement serait-ce donc, construire ensemble ?

Il commence : « Tu sais, j’ai rencontré des gens et comme ils n’avaient pas d’argent ils n’ont pas envisagé d’engagé un architecte pour les aider. Les architectes ne peuvent leur en vouloir. Construire c’est un acte naturel, les gens le feront avec ou sans nous. J’aimerais que l’on puisse les accompagner que l’architecture se démocratise. Ces gens, ils ont des savoirs-faire. Ils font ceci ou cela, mais ils leur manquent toujours quelque chose : ils peuvent être bon artisan mais ne pas savoir se projeter ou dessiner. C’est notre rôle de les aider à construire, de palier à leur manque. La construction c’est une alliance. »

Crédit Photo : Freepix

Imaginer, fabriquer et mettre en œuvre c’est regarder ce qui existe : le site, le paysage, les bâtis certes, mais aussi les gens, les liens qu’ils ont, la communauté qu’ils forment et leurs ressources acquises et potentielles. Il faut comprendre leur contexte spatio-temporel, élaborer des objectifs et ensemble découvrir le projet pendant qu’il se produit. Cette manière inhabituelle de concevoir fait de Patrick Bouchain un spécialiste passionné et intéressé. Il admet ne s’être jamais lassé : « Je vais avoir soixante-dix-neuf ans, j’ai l’impression que je commence dans ma profession. J’ai envie d’apprendre encore et encore sur de nombreux sujets. Vraiment, je ne vois pas ma vie passer. Je suis enthousiasme dans ce que j’entreprends et c’est le plus important. Je ne me suis jamais posé la question sur ce que je gagnerais financièrement, je gagne toujours. Même si tu sais, pendant un temps en guise de repas je buvais un verre de lait et manger un œuf dur. »

Faire des choix qui correspondent à nos valeurs ce n’est pas toujours choisir la facilité, mais l’architecte a une allégorie bien particulière pour nous exposer son état d’esprit : « Imagine, tu as un ticket de métro dans la poche et puis, tu te rend compte que tu l’as perdu. Eh bien c’est pas grave, tu marches à pied ! » Par cette illustration, l’humaniste révèle ses atouts : il n’est pas feignant, il ne se laisse pas faire et n’a pas peur de réinventer les normes.

Ainsi, il fait apparaitre l’abréviation HQH : « De l’architecture HQH, Haute Qualité Humaine, tu sais d’où ça vient ? J’ai répondu à un concours et dans le programme, il voulait une architecture HQE, Haute Qualité Écologie. J’ai remplacé le E, par un H. Je crois que l’on ne se rend même pas compte de ce que l’on demande, comme s’il y avait des architectures pour l’environnement. Les architectures, elles sont pour l’Humain. Peut-être que la première des choses à considérer c’est celle que l’on néglige, les vivants. En s’occupant de l’Humain on fera de l’Écologie. Et puis, je voulais un peu me moquer des abréviations, il y en a partout et pour tout. Comment peut-on dire aux gens qu’ils vivent dans des HQE, c’est laid. »

S’associer, c’est le mot d’ordre. Selon l’architecte c’est encore le meilleur moyen que nous avons pour proposer une architecture éco-responsable. Il nous éclaire : « En se solidarisant, un projet prend une toute autre force. C’est ce que j’appelle de la transmission : c’est très important de pouvoir avoir ces échanges parce qu’ils servent à changer les mentalités. C’est ce dont nous avons besoin pour favoriser l’aspect écologique de nos édifications. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup travailler sur des projets architecturaux liés à l’enfance ou à la vieillesse. Les écoles sont mal-faites elles ne proposent pas des espaces adaptés pour nos jeunes. Tout comme l’ÉPAD ne réponds pas aux besoins de ces habitants. Ils ont besoin d’être aidés et non assistés ! Ces lieux montrent la régression de notre civilisation. Que ce soit l’école ou ÉPAD, ils accélèrent le dérèglement de notre monde. L’enseignement et les discussions inter-générations sont primordiales. Maltraité l’Humain, c’est une catastrophe, bien pire que le réchauffement climatique. Je crois que les gens non pas compris : être écologique c’est s’aider en tant qu’humanité. Si on veut vivre il faut se considérer. »

Il continu : « Nous ne pouvons pas attendre que les projets correspondant à nos valeurs arrivent par eux-mêmes. Ces initiatives naissent des liens entre les choses et les gens. Si tu veux construire en suivant tes valeurs, il faut que tu rencontres les personnes qui ont ce même intérêt. En vous rassemblant, l’un et l’autre vous pourrez coopérer et concevoir demain. Tu sais, ce sont les minorités qui font les grands changements. »

3 – Construire intelligemment, pour une situation.

Crédit Photo : Freepix

Bien évidement réfléchir à nos actes cela va de soi ! Mais là où l’opinion de Patrick Bouchain dénote, c’est lorsqu’il s’affilie à une sorte de pensée-en-action. C’est-à-dire qu’il recommande une mise en œuvre active physiquement et intellectuellement. Il explicite : « Je suis contre les idéologies. C’est du bla-bla et pendant que les idées se combattent, personne ne passe à l’action. Il faut arrêter de trop parler et agir. En faisant, je vais rencontrer quelqu’un qui va m’aider ou que je vais aider. Nous ne travaillons pas sans réflexion, loin de là, nous trouvons des solutions pour un problème donné, pour une situation donnée à un moment précis. » Et pourquoi pas ? En effet, à la place de s’interroger sur les potentielles complications, l’architecte préfère solutionner ce qui lui arrive directement. Il apprend : « Quand je transforme, je me transforme. Il ne peut pas y avoir d’évènement, d’action, de fabrication sans que cérébralement quelque chose se passe. »

Et quand ses différences lui sont reprochés, il rétorque : « Quand tu fais de l’entre-deux on dit que tu ne sais pas ce que tu veux. Ce n’est pas vrai. Les choses ne sont pas noires ou blanches, il faut s’adapter au contexte.

Il faut dessiner, décider du cadre. Le problème c’est que l’on fait souvent des généralités. La réglementation impose des modèles uniques. Seulement, les espaces sont divers, ils n’ont pas les mêmes caractéristiques, les mêmes orientations, ils proposent de multiples manières d’y vivre. Ne crois pas que je suis contre la réglementation, nous avons besoin d’un règlement, c’est une obligation pour vivre ensemble. Ce qu’il faut c’est l’interpréter et ne pas la suivre bêtement sous prétexte que ce soit une règle. »

Clairement, il préconise une architecture faite au cas par cas et l’illustre ainsi : « Regarde comment les médecins soignent. Ils prennent patient par patient, maladie par maladie.  Et si à la fin de journée, ils se rendent compte qu’ils ont prescrit le même traitement, ils analysent à ce moment qu’il y a une épidémie. Pourquoi cela serait différent pour l’architecture ? Les espaces devraient être soignés un par un. Les logements devraient être réhabilités avec leurs résidants. Faire de l’architecture c’est y réfléchir ensemble et agir pas par pas. Si l’on construisait comme cela, on apporterait des réponses intelligentes et précises. « 

D’ailleurs, il dénonce un système illogique, inajustable et parfois même inhumain : « Il y a pleins de gens qui ne sont pas écoutés. Par exemple, il y a cette loi qui est passée pour le renouvellement urbain qui demandent aux propriétaires des HLM la rénovation de leurs logements. Certains des habitants n’ont pas les moyens d’appliquer la loi. Ils sont délaissés. Un autre exemple, ce sont qui vivent dans du bâtis pavillonnaires : la maison-pavillonnaire n’est pas considérée. Elle est méprisée par les architectes. Elle est souvent démolie pour être reconstruit parce que c’est moins cher. Quand est-ce qu’on agit sur ces problématiques ? « 

« La vie est courte mais riche. » Je suppose, que par cette phrase, Patrick Bouchain tenait à nous faire comprendre qu’il reste tant à résoudre dans le secteur de la construction. Il nous avise : « Chaque projet est unique et va te faire grandir, évoluer. Je ne fais jamais deux fois la même chose. D’ailleurs faire deux maison, c’est faire une maison puis une autre. Tout sera différent, le contexte, sa géographie, ces habitants et toi aussi, tu auras changé. » Construire intelligemment c’est le faire pour une situation.

4 – Construire avec créativité, pour une nécessité.

Son dernier conseil et sûrement le plus marquant de cet échange, concerne notre créativité lors du processus de construction. Ce que Patrick Bouchain remarque c’est notre capacité à devenir innovant lorsqu’il s’agit d’un besoin et d’autant plus, quand il est urgent. Il se confie : « Je fais les choses par nécessité et c’est les autres qui les analysent. C’est un peu comme pour te sauver, tu agis sans vraiment savoir pourquoi et comment. Tu sais, le mot frugal, les mots éco-construction, je ne sais pas ce que c’est, j’y avait pas pensé. Je fais parce que ça me paraissait être à faire. »

Aussi, pour faire valoir son observation, il confronte notre schéma de prise de décision avant et durant la pandémie dans le secteur hospitalier.

Il se précise : « Pendant ce temps, nous avons bien remarqué les limites de l’État. Par nécessité il a fallu changer, transformer, re-penser les services, faire des collaborations entre hôpitaux. Comme c’était une situation d’urgence, l’État a été obligé de laissé les gens faire et certains qui n’avaient pas de pouvoir de décision, se sont retrouvés avec de grandes responsabilités. Les besoins ont été modulés et c’est dans ces moments que l’on remarque que l’on peut tout faire ! Alors que d’ordinaire l’hôpital est un espace intérieur, stérilisé, en tant de guerre on soigne dans la rue, sous une tente ! Quand il y a des besoins nous sommes très réactifs et créatifs. Et pourquoi ne pas faire un hôpital sous un chapiteau de cirque ? »

Ce qu’il veut dire par là, c’est qu’il faut laisser plus de place aux citoyens et déléguer. Il affirme : « Arrêtons de croire que seuls les politiciens sont en mesure de prendre les décisions, la société évolue. On cède du pouvoir sur les jardins partagés ou sur des conneries comme ça. Pourquoi ne laissons-nous pas les collectifs de citoyens faire ? Ils pourraient faire autre chose, ils fabriqueraient des espaces d’intérêts générales. Et pas bénévolement ! Mais avec de l’argent publique : c’est ça qui changerait les mentalités. » Il n’a pas tort, après tout : « Le service publique donne de l’argent à des entreprises privées qui n’en n’ont rien à faire de la vie communautaire, de l’humain. Elles pillent l’argent publique pour le bien publique, c’est dégueulasse. D’ailleurs, regarde, pour devenir architecte, tu fais au minimum 6 ans d’étude publique et à la fin de ce que l’État a investi en toi, il doit le donner à des entreprises privées ? Tu devrais pouvoir travailler pour l’État et être payé. » Construire doit se faire là où il a un besoin : c’est la nécessité d’un projet qui lui prévaut tout son intérêt.

Vouloir construire autrement, c’est avant-tout un état d’esprit. Et maintenant que nous arrivons à la fin de cette lecture, je me confesse à vous, lecteurs de Ghara. Cette entrevue avec Patrick Bouchain, n’était pas le sujet-originel de cette publication. Néanmoins, il s’avérait essentiel que je vous communique ces quelques conseils qui m’ont traversés et j’espère qu’ils vous feront échos. Je m’adresse là directement à ceux qui veulent édifier notre monde de demain, il y a encore tant à faire.

Les mots de Patrick Bouchain, il me semble, font bien de nous rappeler que se lancer dans un projet d’éco-construction, ce n’est pas vouloir faire de l’éco-construction, mais bel et bien agir en harmonie avec soi-même, avec les autres, avec son environnement et avec son temps. Nous pouvons choisir de construire, pour nos valeurs, sans compétition ; ensemble pour l’humanité ; intelligemment pour chaque situation et avec créativité dans la nécessité.

LEA FALLET

Architecte D.E