Circuit court architecte

Circuits courts des matériaux 2/2 : cas concrets

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

A mes yeux, l’architecture est une discipline passionnante car elle est vaste, elle nous incite à adopter une vision transcalaire du projet, à être des explorateurs. Le rôle de l’architecte, c’est de penser le projet dans sa globalité, dans son rayonnement à la grande échelle, comme dans son aspect le plus fin. Notre rôle est de comprendre et dévoiler toute sa complexité et d’en explorer toutes les facettes.

La matérialité possède rien qu’à elle, une belle complexité dont on ne peut faire l’impasse dans la pensée du projet. Chaque geste effectué dans le maniement de celle-ci, va avoir un impact plus ou moins fort sur un territoire et ses habitants (humains, animaux et végétaux) et sur l’environnement. C’est pourquoi j’accorde de l’importance au processus qu’elle implique, depuis son extraction, jusqu’à sa mise en oeuvre sur le chantier.

Forte de quelques expériences, je vais présenter des exemples de circuits courts sur des matériaux que j’ai travaillés de mes mains.

Tailler la pierre sur un chantier du patrimoine

Ma première expérience de circuit court se situe à Budos, dans un chantier du patrimoine organisé par l’association Rempart. Cette association oeuvre depuis déjà bien longtemps pour la réhabilitation du patrimoine français en mettant en place de nombreux chantiers participatifs sur des édifices appartenant souvent au Patrimoine Mondial de L’UNESCO. Intervenir sur les chantiers aussi particuliers nécessite de respecter des règles bien précises. Celle qui nous intéresse est la suivante : un chantier du patrimoine doit s’effectuer dans le respect des matériaux et de l’existant.

J’ai donc pu expérimenter, la taille de pierres dans la rénovation d’une partie du château de Budos, édifice inscrit aux monuments historiques en Aquitaine. C’est un château du XIVeme siècle dont les pierres ont une histoire passionnante. Ce château est fortifié avec des pierres qu’on appelle aujourd’hui « pierres de Frontenac » ou les pierres qui ont bâti Bordeaux. Pendant longtemps le château a subi de nombreuses destructions  et des changements de propriétaires jusqu’à se transformer en un bien national et être démantelé en 1830 pour devenir une carrière de pierres. Les pierres du château participent à la construction du village et des maisons environnantes durant 10 années. Aujourd’hui l’association Adichats, appartenant à l’Union Rempart, œuvre pour la rénovation de celui-ci et j’ai participé à l’un des chantiers qu’elle propose.

Ce qu’il faut savoir sur les chantiers d’édifices inscrits aux monuments historiques, c’est qu’il doit s’effectuer avec les outils ancestraux du tailleur de pierre. C’est donc à l’aide de chasses, de pointes, de ciseaux, de pics et de polkas que l’on s’est attelés à la taille des pierres du château fournies à cet effet pour le chantier.

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le circuit court de nos fameuses pierres de Frontenac. Les pierres nous viennent de 3 endroits différents.

1- Les premières pierres sont retrouvées directement sur le terrain, avec un fort potentiel de taille. Elles sont moins régulières qui des pierres d’extraction de carrière et beaucoup plus dures que les pierres d’aujourd’hui, mais on ne peut pas trouver circuit plus court que celui-ci.

2- Certaines des pierres ont aussi une belle histoire. Elles avaient premièrement été utilisées pour la construction du château jusqu’à qu’il soit démantelé. À ce moment, elles ont été utilisées pour la construction des maisons des villages alentours. Certaines de ces maisons ont été détruites et les pierres sont alors retournées à leur lieu d’origine, le château.

3- Enfin, les autres pierres ont été directement extraite de la carrière de pierres de Frontenac, située à 34km du château. Celles-ci ont déjà les dimensions nécessaires pour les ouvrages du chantier et ne demanderont que peu de modifications.

Pierres récupérées et pierres de Frontenac

Ce chantier, au-delà d’être enrichissant dans les techniques de taille de pierre et humainement parlant, il est un très bon exemple de circuit court de matériaux. Il présente 2 circuits courts sans intermédiaire et raconte l’histoire d’un château qui s’est vus retiré de la plus grande partie de ses pierres au XIXeme siècle, et qui lui sont revenues comme à leur juste place, 2 siècles plus tard.

A la rencontre des scieries du coin

Ma prochaine expérience se situe à Tulles, dans le département de Corrèze. Yiannis et Audrey ont commencé leur chantier participatif pour la construction de leur maison voilà un an de ça. J’ai rejoins leur chantier pour deux semaines et ai eu la chance d’accompagner Yiannis à la scierie dans laquelle il se fournit pour ses ouvrages bois. Nous devions construire un cabanon bois sur son terrain pour accueillir tous les réseaux ainsi que le regard.

Scierie de Naves, travail du bois en direct

La scierie ne se situe qu’à 5km du terrain. C’est une petite exploitation forestière située à Naves. Elle fournit des essences naturelles locales de qualité. Chêne, peuplier, mélèze et Douglas sont coupés et travaillés sur place à la scierie. En quelques minutes nous arrivions à la scierie avec l’utilitaire pour récupérer les liteaux, poutres et poteaux en pin douglas et de grandes tablettes en chêne. Il n’est pas circuit plus court pour le bois que celui d’aller soi même à la rencontre des bucherons et artisans.

Les forêts de Douglas sont très courantes en France car c’est un bois très résistant et peu cher contrairement au chêne qui est l’un des bois les plus résistants mais aussi l’un des plus onéreux. Le chêne que nous sommes allés chercher servira de tablettes pour quelques unes des fenêtres. Yiannis aime l’idée de connaitre la provenance des matériaux dont il se fournit. Il se rapproche des artisans proches de chez lui et établit des liens de confiance avec eux. Il oeuvre depuis 1 an pour la construction de sa maison personnelle mais aussi d’un lieu de convivialité qui a pour objectif à terme d’accueillir des personnes et leur proposer des activités yoga et musique traditionnelle grecque. Le dialogue et les rencontres sont au coeur de sa vie et c’et pourquoi son chantier est un chantier participatif et qu’il travaille avec des artisans du bois locaux avec qui il est devenu très proche.

Pratique des collectifs

Pour faire une petite parenthèse sur les circuits courts et parler du processus du matériau, je vais parler des collectifs et de leurs pratiques sur l’environnement. De nombreux collectifs se développent en France dans le domaine de l’architecture, du réemploi et de l’habitat léger. Les préoccupations se tournent vers l’habitat éco-construit et vers une bienveillance pour la planète. Nous tendons tous vers une architecture intelligente, qui se soucie de toutes les étapes du projet jusqu’aux circuits des matériaux. Beaucoup font un travail de logistique colossal dans le but de n’avoir que peu d’impact sur l’environnement. En voici quelques exemples.

Bellastock

Bellastock est un collectif qui travaille tout particulièrement sur l’architecture expérimentale et le cycle des matériaux. Ils organisent chaque année leur Festival tourné autour de la problématique du réemploi et de l’économie circulaire. Certains de leurs Festivals comme « Greenwhasing », « la ville palette » ou « Melting botte » traitent particulièrement des matériaux et du rapprochement à la nature. Sensibilisation et transmission sont leurs maîtres mots.

Le Melting Botte traitait par exemple de la pratique de la botte de paille pour éco-construire et sensibiliser sur la relocalisation des matériaux. On se retrouve alors dans les circuits courts des fibres végétales. Cette édition du Festival avait pour objectif de revaloriser cette filière et de la faire connaitre par le plus grand nombre. Il a fédéré un grand nombre d’acteurs de la construction en fibres, ainsi que des producteurs locaux.

Hameaux Légers

Hameaux légers est un collectif spécialisé dans l’habitat léger et réversible. De la même façon que Bellastock travaille sur le réemploi, ils travaillent sur le concept de réversibilité. Ils cherchent à donner la possibilité à un ouvrage de lui donner une seconde vie. Ils prônent l’accompagnement, la pérennité, la sensibilisation et la transmission.

Le collectif propose un accompagnement pour toutes les personnes ayant un projet d’habitat éco-construit en sensibilisation sur les relations au territoire par l’intégration dans un écosystème local. Un Festival a également été organisé cette année sur le micro habitat écologique dans la région de Loire-Atlantique. Ils soutiennent un grand nombre d’autres collectifs basés globalement dans la Bretagne et dans le Nord de la France.

Festival Melting Botte @bellastock

Pour en revenir aux circuits courts, ces collectifs sont une forme d’intermédiaire entre l’extraction d’une matière et sa mise en oeuvre mais ils sont formateurs et sensibilisateurs des filières locales et courtes. Le réemploi n’est pas une forme de circuit court puisqu’il implique un grand nombre d’acteurs, ils présentent des matériaux qui ont eu plusieurs vies et qui sont réutilisés, mais ils sont un modèle dans notre objectif de protection de l’environnement.

En conclusion de ces deux articles sur les circuits courts, la pensée du matériau en circuit n’est pas simple, elle nécessite une réflexion profonde dans le domaine ainsi qu’une connaissance de la région concernée par un projet d’architecture. Mais là est le rôle des architectes et des collectifs spécialisés. Ils offrent l’opportunité de se sensibiliser dans le domaine et de parvenir à éco-construire en confiance. Le secret des circuits courts est de connaitre son territoire et de se rapprocher des acteurs des filières locales. Il est primordial aujourd’hui de se reconnecter à notre territoire et notre environnement et d’imaginer de nouvelles façons de les habiter et de les occuper.

PAULINE GALLARDO

Architecte D.E

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