Zoom sur les laboratoires CRAterre et Fibois

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Nous construisons avec des matériaux biosourcés et géosourcés depuis la nuit des temps. Mais avec l’arrivée des nouveaux matériaux issus de la période industrielle, les techniques ancestrales de construction sont rapidement remplacées par les techniques de préfabrication et la pierre est remplacée par le béton, le fer et le charbon.

Et si nous nous rendions compte que cette période de rêve industriel et d’énergie fossile possédait ses limites et que les ressources de la planète n’étaient pas inépuisables…

De plus, ces nouveaux matériaux très appréciés des promoteurs immobiliers pour leur mise en œuvre rapide et peu chère, ont de graves répercussions sur notre climat nous obligeant à développer de nouvelles façons de penser l’architecture, inspirées de nos techniques ancestrales. C’est ainsi que l’on assiste au grand retour des matériaux biosourcés et géosourcés.

Bien qu’ils aient toujours été présents mais seulement en moins grande quantité, ils sont aujourd’hui source d’espoir pour lutter contre le changement climatique.

Mais à mon sens il reste encore trop de non sens écologique autour de l’utilisation de ces matériaux notamment le bois qui est utilisé beaucoup trop facilement pour « justifier » une intention écologique sous le prétexte qu’il capte le carbone de l’air. Utiliser du bois ? Oui, mais encore faut-il comprendre ce matériau, ses aspects, ses capacités techniques et structurelles, ses propriétés isolantes, ses différentes essences et leurs localisations… Pour connaitre, il faut s’informer et cet article est là pour ça.

construire en bois

Matériaux biosourcés et géosourcés : que sont-ils ?

Ce qu’on appelle les matériaux biosourcés et géosourcés sont les matériaux qui proviennent majoritairement des ressources naturelles de la planète. Certains sont également des matériaux transformés par le recyclage des déchets tels que la ouate de cellulose, matériau isolant issu du recyclage de papier. Lorsqu’ils sont utilisés de manière raisonnable et vertueuse ces matériaux ont l’avantage de n’avoir que peu d’impact sur notre environnement. Mais il faut bien les connaitre et les utiliser. On ne peut qualifier un matériau de biosourcé ou géosourcé s’il ne provient pas d’une gestion raisonnée et durable.

constructions ecologiques

Le biosourcé

Les matériaux dits biosourcés sont ceux issus partiellement ou totalement de la biomasse et du vivant (animal ou végétal). Toutes les plantes de cette famille participent à absorber le carbone de notre atmosphère. Les principaux matériaux biosourcés que l’on peut voir dans cette filière et présentés ci dessous, participent à faire avancer l’architecture dans une pensée plus éthique et responsable. Avec le biosourcé, on peut tout construire et les solutions sont nombreuses ce qui permet de pouvoir faire du local facilement et de s’adapter aux régions et à leurs contraintes singulières. Le bois est utilisé plus souvent en structure, charpente et ameublement, la ouate de cellulose et les autres matériaux tels que le chanvre, le liège, certaines fibres végétales et animales peuvent servir d’isolant et d’autres encore comme le chanvre ou la paille, servent comme support d’enduit ou de remplissage isolant de murs. L’utilisation de tel ou tel matériau dépend ensuite de la situation géographique et historique d’un espace. Par exemple il va être plus délicat d’employer du liège comme matériau isolant dans les régions fortement exposées aux incendies de forêt. Il faudra plutôt opter pour de la laine de mouton, matériau peu inflammable car il nécessite une très grande quantité d’oxygène pour se consumer.

Les matériaux et familles de matériaux biosourcés les plus employés sont les suivants :

construire en bois
Le bois
isoler en ouate
La ouate de cellulose
isoler en chanvre
Le chanvre
isoler en paille
La paille
isoler en coton
Les fibres végétales (coton, lin, chanvre, bambou…)
isoler en fibres animales
Les fibres animales (laines)

Les géosourcés

Le mot géosourcé, de son étymologie « géo » qui veut dire « terre », traite de tous les matériaux qui provienne des ressources minérales de nos sous-sol tels que la pierre et de tous les matériaux produits à base de terre crue (pisé, briques de terres crues, torchis, enduits…).

Le grand avantage du géosourcé, c’est que selon la technique employée, il ne nécessite que très peu voire pas de transformation. Prenons l’exemple de la pierre sèche. La technique de pierre sèche consiste à ériger un mur, en n’utilisant aucune autre matière que la pierre trouvée sur le terrain. L’image ci-dessous représente un mur de pierre sèche que j’ai construit lors d’un chantier participatif. Il m’a fallu de temps en temps utiliser une masse et un burin pour tailler la pierre mais sa transformation est tout de même quasi nulle. Pour ce qui est des pierres de tailles, elles sont généralement extraites en blocs des carrières et acheminées directement sur le chantier sur lequel elles sont taillées pour s’adapter à l’ouvrage. Ces techniques nécessitent plus de temps et de main d’oeuvre mais sont durables car elle sont à très faible impact environnemental.

C’est encore bien différent pour la terre dont les techniques varient beaucoup selon l’ouvrage, la région et le type d’utilisation qu’on veut en faire.

construire en pierre
La pierre. Mur de soutènement en pierre sèche

construire en terre crue
La terre crue. Sceaux d’enduit terre-paille

La recherche en architecture et le développement des grands laboratoires de référence

La multiplication de toutes ces filières apporte un vent de renouveau dans le domaine de la ressource et de la construction et participe à enrichir la recherche en architecture. Les laboratoires de recherche se multiplient et avec eux la volonté de créer des outils de recensement de la ressource et de facilitation de leur accès. J’ai moi-même récemment effectué un stage dans une agence d’architecture Lyonnaise qui développait un outil permettant de faire un état des lieux des ressources locales afin de promouvoir ces dernières et à terme peut-être rendre cet outil accessible à tous. L’objectif de tous ces nouveaux laboratoires est de devenir une référence dans la filière qu’ils visent, pour pouvoir faciliter à tous l’accès à la ressource locale. Mais ils sont aussi là dans une volonté de fédérer les grands acteurs français de la filière et d’initier les échanges autour de thématiques d’architecture. C’est le cas des deux grands laboratoires CRAterre et Fibois.

CRAterre et Fibois traitent de la terre et du bois comme leur nom l’indique. Chacun possède et anime un réseau national d’activation de ces deux filières par le biais de techniques aussi différentes que les deux filières le sont mais tout aussi efficaces l’une que l’autre.

Le laboratoire CRAterre

Craterre est né à Grenoble, capitale de la terre comme Epinal est la capitale du bois. Son habilitation en tant que laboratoire a été obtenue en 1986 mais depuis 2010 le laboratoire a formé une nouvelle unité de recherche avec Cultures constructives appelée « Architecture, environnement et culture constructive » ou AE&CC. C’est avec ce laboratoire qu’il met en place des formations et propose des projets innovants qui ont pour but de développer les filières de construction en terre. Aujourd’hui, le laboratoire rayonne dans le monde entier et se développe de plusieurs façons :

  • RECHERCHE : la recherche est une partie primordiale par laquelle un laboratoire doit obligatoirement passer. Chaque laboratoire fonctionne de différentes manières mais celui-ci développe sa recherche selon 3 axes principaux :
  • 1- Une gestion et conservation du patrimoine mondial en terre

    2 – Une identification de la ressource et des techniques de constructions en terre sous forme de base scientifique

    3 – Une amélioration qualitative des conditions de vie des humains dans leur habitat

    Cette façon de fonctionner qui consiste à comprendre la matière afin d’innover et de faire évoluer les techniques constructives en s’inspirant des techniques laissées par notre patrimoine culturel, confirme l’hypothèse que j’ai posée au début de cet article qui est de mieux comprendre pour utiliser de façon vertueuse.

    • ACTION : Elle met en pratique ces 3 domaines principaux de recherche à travers de nombreux projets qui consistent à étudier l’environnement du projet avant de concevoir des stratégies pour répondre aux enjeux liés à cet environnement et d’enfin appliquer la stratégie finalement et d’étudier son impact.
    • ENSEIGNEMENT : Le laboratoire est à l’initiative de nombreuses formations et de nombreux séminaires participant à faire rayonner leur influence et de sensibiliser sur les filières de la terre. L’une de ses formations, le DSA Terre connue des architectes, se pratique sur 2 ans en partenariat avec l’école d’architecture de Grenoble. Elle propose une formation très complète sur l’architecture de terre et le patrimoine pour finir sur des mises en situations professionnelles. Le laboratoire soutient d’autre formations telles qu’un doctorat et un Master « Architecture et cultures constructives ».
    • DIFFUSION : Enfin, le laboratoire se concentre sur la diffusion de ses savoirs et des savoir-faire qu’elle apporte. Il a publié un ouvrage « Construire en terre », accompagnés de nombreux articles et revue en ligne qui parlent d’eux et participent à la diffusion de ce savoir. Ils invitent également chaque année architectes, scientifiques, visiteurs, entrepreneurs, artisans, étudiants ingénieurs à participer à leur festival Grain d’Isère et à échanger autour de ce matériau à travers des ateliers ludiques et instructifs.

    Ces 4 champs d’action mènent CRAterre à devenir une référence mondiale dans la construction en terre crue. Ils développent également des programmes en partenariat avec des institutions nationales telle que AMACO, Grains de Bâtisseurs mais aussi avec le patrimoine culturel et développement local, le patrimoine Mondial en terre et d’autres institutions de prévention et de gestion des risques. Ces programmes allient formations, chantiers participatifs, engagement auprès des populations en besoin d’aide et formations professionnelles. Un autre programme appelé Africa 2009 contribue à la conservation d’un patrimoine culturel reconnu en Afrique sub-saharienne faisant intervenir de nombreuses institutions nationales en collaboration.

    Tous ces programmes contribuent à faire rayonner d’avantage le laboratoire et lui donner de la légitimité dans ses actions.

    L’association FIBOIS

    Fibois est une association qui a pour but de rassembler les gens autour de la filière bois. Sa parole sur les activités touchant cette filière est primordiale en France auprès des pouvoirs publics et nationaux.

    « Nos missions d’intérêt général sont de représenter, fédérer et animer la filière en région » Paul Jarquin, Président de Fibois France (citation que vous pouvez retrouver sur le site de Fibois https://fibois-france.fr/fibois-france/)

    Le laboratoire, ou plutôt l’association, met en relation depuis déjà de nombreuses années, plus de 3000 acteurs de la filière et 12 interprofessions régionales de la filière bois française métropolitaine. Leur domaine d’expertise et d’action se développe dans toutes les étapes de la construction bois de sa gestion, jusqu’à sa certification et dans la construction et l’ameublement également. Fibois étend son action dans 6 domaines de compétence avec chacun leur réseau national :

    • PRESCRIPTION, CONSTRUCTION BOIS : 29 prescripteurs bois. L’objectif est de soutenir les maitres d’oeuvre et architectes qui font appel au bois dans leurs projets de construction. Ce soutien se manifeste également sous la forme de grands prix de la construction bois, proposés par le laboratoire pour encourager les professionnels à chercher des solutions dans cette filière là.
    • EMPLOI ET FORMATION : 13 chargés de mission emploi-formation. Généralement l’emploi et la formation a pour but d’aller chercher le public et de créer de l’attractivité autour d’un domaine cherché. C’est ce que fait Fibois grâce à ses formateurs mais aussi grâce à son réseau qui permet de mettre en relation des demandeurs d’emploi et employeurs pour qu’ils construisent ensemble autour de cette filière.
    • AMONT : 20 chargés de mission en amont. Toujours dans cette volonté de fédérer les acteurs autour d’un même projet, ici l’objectif est de le faire avec les acteurs de la gestion forestière, les propriétaires privés et publics ainsi que les exploitants et autres experts en bois. Cette mise en relation des professionnels peut se pratiquer sous forme de campagne de sensibilisation des pratiques de la forêt, de la récolte ainsi que sur sa réaction face au changement climatique et son impact sur le futur.
    • PRESCRIPTION BOIS ENERGIE : 12 prescripteurs bois énergie. C’est un réseau un peu particulier puisqu’il consiste à faire la promotion de la marque « Bois Bûche » et au développement de l’énergie que peut produire le bois.
    • 1ERE TRANSFORMATION : 11 chargés de mission de 1ere transformation. C’est un réseau de transmission et de partage des actualités sur les entreprises de la première transformation bois.
    • COMMUNICATION : 13 chargés de mission communication. Evidemment le domaine de la communication revient comme pour CRAterre dans un objectif de communiquer le plus possible sur les biens-faits du bois et de la forêt sur notre environnement et sur leur propre structure afin de faciliter au mieux les relations entre les professionnels du bois.

    Au-delà de ces 6 domaines de compétence en
    région, Fibois s’intéresse aux données du bois en
    France et nous fait un état des lieux de la
    ressource de bois française en comparaison avec
    les autres pays Européens. Cet état des lieux
    reflète un grand positivisme pour inciter notre
    génération à se tourner vers cette filière pleine
    de richesse. Certains de ses chiffres clés sont
    présentés sur l’image ci-contre que l’on peut
    retrouver sur leur site. J’ajouterai que selon leurs
    autres chiffres, la France est le 4e pays européen
    le plus boisé avec un taux de boisement de 31%.
    Elle porte 392 700 emplois directs et 62 000
    emplois indirects ce qui fait de cette filière celle
    qui porte le plus d’emploi en France devant le
    nucléaire et l’aéronautique.
    Fibois développe également un grand nombre
    d’outils permettant à chacun de se renseigner
    sur les formations construction bois, sur les
    métiers de la forêt et du bois, il possède
    également plusieurs catalogues et une
    médiathèque. Le laboratoire dirige également le
    prix National de la construction bois qui a pour
    objectif d’offrir une prime à des projets vertueux
    et frugaux en bois.

    fibois association

    Laboratoires CRAterre et Fibois : le mot de la fin

    Les laboratoires CRAterre, Fibois ainsi que de nombreux autres laboratoires existent pour porter les filières du biosourcé et du géosourcé vers un rayonnement national et international et pour faire prendre conscience de leur intérêt dans l’architecture et la construction d’aujourd’hui et de demain. Leurs méthodes s’appliquent de façon très différentes avec un laboratoire essentiellement tourné vers la recherche de techniques de construction terre innovantes et dans l’application de ces solutions sur l’habitat humain tandis que l’autre est plutôt tourné sur l’action d’encourager des professionnels et futurs professionnels à l’établissement de la filière bois dans toute la France par leur mise en relation et par le biais de récompenses et d’accompagnements dans leur démarche de projet. Mais ce que l’on retrouve chez les deux c’est qu’ils proposent de nombreuses formations de professionnels et étudiants et qu’ils ont cette volonté de communiquer leur engagement au grand public et aux institutions régionales et nationales.

    En conclusion, s’informer et se former est une base fondamentale pour mieux comprendre les matériaux biosourcés et géosourcés et comprendre de quelle manière ils peuvent répondre aux enjeux de notre société. Les laboratoires sont un très bon moyen de développer la recherche de nouvelles solutions mais aussi de s’informer sur ces solutions. Ils sont une passerelle entre les personnes qui souhaitent s’engager et des professionnels établis. Beaucoup suivent leur exemple et les formations se multiplient ainsi que le nombre de personnes qui s’y intéresse.

    Savez-vous également que Ghara propose des formations sur les matériaux biosourcés et géosourcés ? Le site propose un grand nombre de formations sur la construction bois, paille, GREB et également des formation pour se spécialiser dans la RE2020 qui valorise ce type de filières revendiquées par nos grands laboratoires français.

    PAULINE GALLARDO

    Architecte D.E